Apprendre par le débat - Philosophie - Espace pédagogique académique

Apprendre par le débat

, par Franck Lelièvre - I.A. I.P.R., Frédéric Blondeau - Format PDF Enregistrer au format PDF

 Une pratique répandue à l’extérieur de nos classes

Les ateliers de discussion à caractère philosophique s’inspirent des formes dialectiques qui sont à la fois très vénérables – la disputatio – et contemporaines – Dewey, Lipman. Il s’agit d’une forme d’apprentissage très développée au Québec.

La pratique de la discussion est aussi revenue par le biais de la philosophie anglo-saxonne dit « analytique » et par la formation des instituteurs, puis des professeurs des écoles, à la didactique et à la réflexion pédagogique. C’est une pratique également mobilisée dans « l’enseignement moral et civique » (EMC) mais surtout, et depuis longtemps, en Lettres-Histoire en lycée professionnel.

 Un allant de soi et un impensé

Interagir pour apprendre, cela semble aller de soi. En classe, l’oral est omniprésent sous des formes très diverses : gérer un comportement, expliquer une consigne, dialoguer pour résoudre un problème, faire un exposé, exprimer son ressenti…
Dans une même séance, s’enchaînent des types d’interactions, très divers dans leurs modalités et finalités, que les élèves doivent réussir à identifier (ex. : « faut-il prendre en note ce qui est dit par les professeurs et les camarades de classe ou bien est-ce une simple digression ? » ; « est-ce qu’il m’est demandé d’apporter LA réponse à la question posée par le professeur ou bien de la construire avec lui ? »). Cette difficulté est renforcée par la transversalité de l’oral qui peut rendre opaque l’enjeu cognitif de l’activité.

La pratique de l’oral est transversale à toutes les disciplines et à toutes les situations, de sorte que sont difficilement isolables des objets d’enseignement susceptibles d’être travaillés. L’oral est partout, dans l’école et hors de l’école, dans la classe et dans la cour de récréation [1].

En classe pour certains élèves, les tâches sont parfois déconnectées des objectifs d’apprentissage de sorte que ces situations d’interaction sont source de malentendus. Cela est manifeste notamment lorsqu’ils demandent ce qu’il faut apprendre en philosophie, ou lorsque certains élèves, qualifiés paradoxalement de « scolaires », apprennent et récitent par cœur des passages ou intégralité du cours mais pour répondre à des sujets différents. Dans le cours dialogué, les élèves ne profitent pas de la même manière des situations d’apprentissage par exemple en ne saisissant pas l’enjeu cognitif des échanges.

De plus, ce sont rarement tous les élèves qui s’engagent dans le dialogue avec le professeur en classe. L’écoute fait bien sûr partie du métier d’élève mais seule une poignée d’élèves, souvent les mêmes et ceux qui en ont le moins besoin, bénéficie de cette maïeutique et des retours du professeur : demande de clarification, précision, confirmation…

Ainsi l’oral en classe est tout à la fois omniprésent mais par là-même non interrogé. C’est le point aveugle du cours de philosophie.

Dès lors, pour éviter ces ambiguïtés et inégalités, il peut sembler salutaire de mettre en place dans le cours de philosophie, des pratiques discursives comme le débat, la communauté de recherche philosophique [2], la discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) [3], le procès et le colloque [4] et même des formes dialectiques plus anciennes comme la disputatio [5] dans lesquels les objectifs, les rôles et les attendus sont plus clairement définis.

J. Castel, C. Renard.

Pour approfondir :

 Principes et repères

Les dispositifs et formes d’activités orales sont multiples. L’objectif ici n’est pas de viser l’exhaustivité des pratiques mais de fournir des principes et repères pour les mettre en place en classe :

  • Prendre le temps nécessaire : les activités orales sont souvent considérées par les professeurs comme chronophages parce que s’ajoutant au cours. Le programme à boucler, on les fait quand on a le temps, qu’on n’a plus que ça à faire, c’est-à-dire jamais. Pour que ce soit viable, il s’agit alors de les voir non comme « un + » mais de leur donner une place définie dans la séquence et donc de réfléchir aux objectifs d’apprentissage liés à cette activité. Est-ce pour découvrir une notion ? Exprimer nos premières idées sur cette question ? Est-ce pour faire des études de cas de problèmes vus précédemment dans le reste du cours ? Ces objectifs posés, il sera plus facile de choisir à quel moment de la séquence on souhaite les introduire.
  • Trouver un espace adapté : la salle de classe en autobus n’est pas du tout conçue pour des échanges entre pairs mais pour le contrôle d’une masse silencieuse. Ainsi, il est indispensable de disposer d’un espace flexible dans lequel vous pouvez bouger les tables et les chaises de façon à ce que les élèves se voient pour interagir.
  • Poser et garantir une éthique de la discussion : écouter, ne pas se couper la parole, attendre que le camarade ait terminé de parler pour lever la main, s’efforcer d’argumenter, accepter la contradiction…
  • Travailler la posture du professeur : les activités orales collectives sont une opportunité pour le professeur de varier ses postures. L’image du professeur qui échange à la manière de Socrate est souvent un fantasme. En réalité, c’est bien souvent la posture de contrôle, de contre-étayage (surtout en classe technologique) que les professeurs adoptent. Les activités orales collectives sont l’occasion d’adopter une posture de lâcher-prise [6] :

l’enseignant assigne aux élèves la responsabilité de leur travail et l’autorisation à expérimenter les chemins qu’ils choisissent. Cette posture est ressentie par les élèves comme un gage de confiance. Les tâches données sont telles qu’ils peuvent aisément les résoudre seuls ; les savoirs sont instrumentaux et ne sont pas verbalisés.

Cette dernière posture n’est pas habituelle pour les professeurs. Elle implique de laisser parfois le silence s’installer, de laisser les choses émerger au rythme des élèves, et d’accepter en tant que professeur de se taire et… de ne pas être le centre de l’attention :)

  • Mettre en évidence des « gestes philosophiques » ou compétences réflexives propres à la discipline que l’on peut expliciter et apprendre ainsi aux élèves à développer et à repérer. L’oral est alors articulé à des opérations qui seront mises en œuvre à l’écrit.
Tableau des compétences
Charlie Renard
  • Se dégager un moment méta : l’idéal est de terminer l’activité par un moment collectif réflexif. Ce moment ritualisé apprend aux élèves à observer et verbaliser ce qu’ils ont compris de l’activité, ce qui a ou non fonctionné, les différents moments ou apprentissages qui ont été en jeu pendant ce moment pédagogique. Cette phase de bilan permet également de responsabiliser les élèves. Ce n’est pas le professeur qui « fait le cours » mais bien le groupe classe qui est responsable de ce qui s’y fait et de ce qu’on y apprend. Cela a un effet très libérateur à la fois pour le professeur qui n’a pas seul la charge que tout se déroule bien et émancipateur pour les élèves qui deviennent acteurs de leur apprentissage. Si l’activité n’a pas été à la hauteur des attentes, ce moment méta permet d’en analyser collectivement les causes pour les éviter la fois prochaine, et inversement de comprendre pourquoi une activité s’est étonnement bien passée pour la refaire ! Lorsque l’activité se déroule en classe entière, il est parfois nécessaire de restreindre le nombre de discutants. Certains élèves peuvent alors endosser le rôle d’observateur et auront la responsabilité de faire la synthèse de l’activité pendant ce moment méta.
  • Selon l’activité choisie, on peut également répartir les rôles entre les participants. En discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) : président de séance, observateur, secrétaire, reformulateur. Pour un procès : juge, avocat…

Voici trois exemples de grille d’observateur pour les discussions :

Grilles d’observateur
Charlie Renard

J. Castel, C. Renard.

 Témoignage de Jennifer Castel

Durant l’été 2022, ma collègue Charlie Renard m’a proposé de participer à sa recherche doctorale sur la place de l’oral dans l’enseignement de la philosophie au lycée. J’ai accepté malgré la peur. Peur de ne pas y arriver car l’oral n’était pas une pratique avec laquelle je me sentais à l’aise. En septembre 2023, je décide de me lancer avec ma classe de TSTI2D que j’avais déjà eu en EMC en 1ère.

Dès le premier atelier, je décide de mettre les élèves en cercle dans une salle (CDI ou salle de classe) et de les laisser parler librement autour d’une question que j’ai choisie. Je me mets volontairement en dehors de ce cercle avec l’intention d’interagir le moins possible. Au fils des ateliers, j’ai fini par avoir de moins en moins peur que les ateliers se passent mal, que cela dégénère ou qu’il y ait de longs silences. Bien au contraire, les élèves se sont appropriés le dispositif. Ils ont été très matures, se sont écoutés avec beaucoup d’attention et ont fini par se distribuer la parole eux-mêmes.

De mon côté, cette expérience a été très positive. J’ai envie de donner une plus grande place à l’oral dans mon enseignement et j’ai découvert les élèves sous un jour nouveau. Ils ont des idées intéressantes et une véritable envie de les partager. Il faut donc apprendre à se taire et les laisser faire. Les laisser penser, parler, échanger.
Du côté des élèves, ils ont poursuivi les échanges, entre eux, par messages le soir.
J’ai reçu moi-même des messages de certains d’entre eux qui souhaitaient poursuivre les discussions entamées en atelier. Ils continuaient d’y penser et d’avoir envie de développer leurs idées. Ils ont été enthousiasmés par le dispositif.

Voici quelques exemples de questions discutées :

  • Doit-on établir une dictature écologique ?
  • Peut-on dire “à chacun sa vérité” ?

 Ressources

Ressources académiques sur ces pratiques :

Ressources pédagogiques :

Suite.

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