Réflexion par et sur le numérique : activité pédagogique - Philosophie - Espace pédagogique académique

Réflexion par et sur le numérique : activité pédagogique

Dans le cadre d’une séance de ciné-philo au lycée, séance lors de laquelle il s’agit de visionner un film ou un épisode de série puis de tâcher d’en faire sortir des concepts ou questionnements philosophiques, nous nous sommes arrêtés longuement sur la série Black mirror.

Cette série est écrite par Charlie Brooker et Jesse Armstrong et elle est composée pour l’instant de quatre saisons, comprenant chacune entre trois et six épisodes indépendants les uns des autres. Un épisode se suffisant à lui-même et ayant une durée de quarante à soixante minutes, il en fait un support tout à fait adéquate à une réflexion en classe. L’ensemble des épisode est très disparate du point de vue de la réalisation et des scenarii développés mais elles ont toutes un thème commun : comment le numérique, les nouvelles technologies et l’immédiateté ou le confort qu’ils permettent, influencent et déterminent plus ou moins consciemment les comportements humains ?

On pourrait objecter qu’il existe de nombreux supports audio-visuels qui permettent ce type de réflexion, mais il semble que Black Mirror ait cette avantage de permettre deux types de réflexions en classe :
* l’une sur les notions et les thèmes relatifs au programme de Terminale.
* L’autre sur l’influence des avancées technologiques (et principalement le numérique) sur les comportements individuels et collectifs.
Questions que l’on détaillera par la suite.

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Nous avons projeté lors de la séance l’épisode deux de la seconde saison, intitulé La chasse (White Bear en anglais), on trouvera le synopsis dans le lien suivant : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89pisodes_de_Black_Mirror#%C3%89pisode_2_:_La_Chasse.

Réfléchir par le numérique :

Dans cet épisode est proposée une réflexion sur la notion de justice et d’application des peines : une jeune femme infanticide est en effet condamnée par la justice à être poursuivie et agressée par des individus masquée dans un décors construit uniquement à cette fin et qui se nomme « justice park ». En outre, la traque est diffusée en télé-réalité et est supervisée par une entreprise de production d’audio-visuel. Quelques téléspectateurs « chanceux » peuvent venir participer à cette chasse en qualité de figurants, où ils n’ont le droit de prendre part à la traque que par le truchement de leurs smartphones, en ayant le privilège de filmer la victime au plus près. Enfin, à l’issue de chaque émission, le jeune femme se voit effacer la mémoire pour recommencer un nouveau show le lendemain, au plus grand bonheur des téléspectateurs.

Nous avons pu ainsi nous interroger sur différents problèmes philosophiques liés au programme de Terminale : Quel doit-être le sens d’une peine judiciaire ? Quelle en est sa finalité, et comment doit-elle être appliquée ? Par le biais de l’épisode, les élèves ont pu s’interroger lors d’un débat sur les rapports de la justice et du Droit, ainsi que sur les effets de la médiatisation de l’exercice judiciaire, voire de sa présentation comme divertissement. En s’aidant d’extraits de Beccaria et de Nietzsche, nous avons pu introduire une ébauche de réflexion et de questionnements sur la culture, la morale, ainsi que la politique.

Les épisodes étant variés, il est possible en outre de s’interroger sur une grande quantité de notions, telles que le bonheur, le devoir, autrui, la conscience, la perception, l’art... ce qui en fait un support moderne et extrêmement pertinent pour approfondir une séquence ou bien même pour en organiser une introduction.

Mais, l’approche la plus pertinente de cette série nous a été dévoilée par une interrogation spontanée de certains élèves : comment cette mise en scène du châtiment rencontre t-elle un tel succès, alors même qu’elle semble aux antipodes de ce que devrait être la justice ?

Réfléchir sur le numérique

Black mirror ne se borne pas à nous dévoiler de potentiels futurs catastrophiques ou bien à dresser des portraits dystopiques de nos sociétés. Cette série tâche surtout de montrer sans réserve cet asservissement d’un type particulier de l’homme par la technologie ; Mise en lumière d’autant plus choquante qu’elle souligne la portée axiologique et normative, douce et indolore mais néanmoins nécessaire, de cet asservissement. Ce que Black mirror met en lumière c’est l’aspect quotidien et surtout volontaire de notre recours à ces dispositifs : comment ceux-ci changent notre rapport à soi-même, au monde et à autrui, et comment ceux-ci génèrent des valeurs auxquelles on se réfère instinctivement sans pouvoir véritablement sans excepter ou en discuter l’essence. Ce que nous offre, enfin, cette série, c’est une illustration suggérée mais pertinente de ce qu’Agamben nomme un dispositif : « tout ce qui a, d’une manière ou une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants » (Qu’est-ce qu’un dispositif ?). Black mirror souligne ce rapport « passif-agressif » que l’on peut entretenir vis-à-vis de cette recrudescence du numérique dans la vie privée et publique, comment celle-ci nous aliène d’autant plus qu’elle ne nous laisse pas le choix.

Avec l’épisode White Bear nous avons ainsi pu nous interroger sur la notion d’acrasie ou de « faiblesse de la volonté » : comment peut-on adhérer, participer à une chose qu’on juge illégitime ou aberrante, alors même que rien ne nous y force ou nous y contraint ? On a pu ainsi se demander si ces dispositifs ne finiraient pas, à terme, par faire affirmer à l’homme contemporain ce qu’Ovide mettait dans la bouche de Médée : « Je vois le bien et je l’approuve mais je fais le pire » ?

Cette série ne propose pas ici de société dystopique totalitaire dans laquelle l’individu serait réifié, relégué à l’état de machine sans aucune forme de libre-arbitre, mais pose plutôt la question suivante : comment la technologie imprime et impose une attitude, un comportement d’autant plus efficace et puissant qu’elle donne l’illusion à l’individu d’être libre, tandis qu’elle exerce un contrôle sur ces pratiques sociales et personnelles ?

A force de ne composer qu’à l’aune de ces dispositifs, qui, sous couvert de répondre à des besoins ou à la satisfaction des désirs, tendent à atrophier l’indépendance et les facultés propres de l’homme, n’assistons-nous pas à un fractionnement de l’individu ? Black Mirror invite à réfléchir sur cet état futur où l’individu ne serait qu’un « dividu » c’est-à-dire le résultat d’une fragmentation qui ne le laisserait, dépossédé de tout rapport authentique à soi, que comme un rouage d’un mécanisme de l’instantanéité, de l’information et du loisir.

Black Mirror se pose donc comme un véritable reflet de nos pratiques quotidiennes et semble permettre par cette fonction spéculaire de faire réfléchir les élèves quant à leurs pratiques les plus spontanées et les moins quotidiennement considérées.

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