Alain Supiot 2014 Qu’est-ce qu’un régime de travail réellement humain ?
Alain Supiot est un juriste. Il a occupé une chaire au Collège de France pendant sept ans. Il est aussi fondateur de l’institut d’études avancées de Nantes. [1] Il s’est notamment rendu très célèbre par son livre La Gouvernance par les nombres qui est tiré de ses premières années de cours au Collège de France. Il en parle lui-même très bien et de manière très accessible à de nombreux endroits.
Une chose qui m’a beaucoup intéressée dans son travail est l’analyse qu’il fait des conséquences de la "révolution numérique" sur les professions intellectuelles supérieures. En particulier, son analyse permet de comprendre comment et pourquoi l’espace de liberté qu’était l’université en France s’est refermé dans les années passées. La fermeture de cet espace est, je crois, la cause profonde du mal-être généralisé parmi les jeunes (et pas que) chercheur.euses.
Il y a là deux attitudes que nous pouvons prendre, nous, profs de philo du secondaire. Nous pouvons nous réjouir de ne pas subir de plein fouet la transformation en cours de l’université, éventuellement en adressant nos vœux les plus sincères pour nos collègues du supérieurs qui perdent le sens de leur métier. Nous pouvons aussi considérer que l’université est à l’avant garde d’une transformation qui arrivera à l’école ensuite et penser que les mêmes mécanismes viendront bouleverser le métier d’enseignant bientôt (si ce n’est déjà fait).
Patrick Boucheron a fait quelque part cette boutade qui consiste à remarquer que l’Italie joue ce rôle d’avant-garde dans l’expérimentation de nouvelles formes politiques ("Après tout, je suis un historien du laboratoire italien, et donc je fais profession de croire en matière d’histoire des pouvoirs que l’Italie invente souvent un peu en avance ce qui va s’imposer partout ailleurs."). Il avance ainsi l’idée d’un lien construit entre "une politique de la laideur et une politique du faux", proposant une diapositive assez formidable où l’on retrouve son tyran d’étude à côté d’autres plus connus du grand public :
De la même façon que Berlusconi prédisait Trump, sans doute peut-on avancer que ce qui arrive actuellement à l’université prédit ce qui arrivera dans l’éducation nationale. On prévoit ainsi le pire en satisfaisant notre désir naturel de comprendre !
Alain Supiot a donné un cours en 2014 au CPES, c’est-à-dire devant des jeunes fraîchement sortis du lycée. [2] C’est une conférence qui est donc très accessible (pour des élèves de série générale aussi) et une porte d’entrée formidable dans le travail décapant d’Alain Supiot. Le titre de ce cours est "Qu’est-ce qu’un régime de travail réellement humain ?". Alain Supiot se demande comment il faut interpréter l’expression "régime de travail réellement humain" qui est apparue dans le préambule de la constitution de l’OIT de 1919, un document juridique, donc. Ce n’est pourtant pas un exposé de juriste à proprement parler car c’est bien la réflexion philosophique qu’il y a derrière cette expression (et l’espace logique des interprétations possibles) qui intéresse Alain Supiot. Ce cours est donc à réutiliser sans modération en classe de philosophie, quand on souhaitera aborder le travail.
Pour aller plus loin, mais dans le même sens, avec un exposé plus "académique", je vous propose de visionner la leçon qu’a donnée Alain Supiot au Collège Belgique en 2020. Cet exposé s’intitule "Il n’est pas de paix durable sans justice sociale", qui est encore une autre phrase extraite du préambule de la constitution de l’OIT. Le contenu de cette conférence est très proche du cours précédent. Il aura l’avantage de faire explicitement le lien entre le travail et la justice. Alain Supiot est en effet un spécialiste du droit du travail.
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