Les dangers de l'hyper-communication & hyper-connexion numérique - Philosophie - Espace pédagogique académique

Les dangers de l’hyper-communication & hyper-connexion numérique

Le psychologue Bahman Ajang nous plonge dans l’hyper-communication et hyper-connexion numérique, résultant d’un recours excessif aux moyens de communication et réseaux sociaux numériques.
Episode 1/3 proposant une description du phénomène.

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On considère aujourd’hui qu’une majorité de la population adolescente et étudiante bénéficierait, pour des raisons d’équilibre de vie et même de santé, d’un changement profond voire d’une diminution drastique de leur recours aux outils de communication numériques et aux réseaux sociaux. Plus largement, en ce XXIe siècle bien entamé, c’est notre rapport au temps, à la communication et notre façon de nous lier les uns aux autres qui semblent être questionnés par ces nouveaux usages.

 Le phénomène de l’hyper-communication et hyper-connexion numérique

En tant que psychologue féru de nouvelles technologies, l’évolution des usages liés au monde numérique me fascine et m’enthousiasme tout autant qu’elle m’inquiète. L’impression que l’on passe de plus en plus de temps penché sur son smartphone est d’ailleurs attestée par plusieurs études, dont une menée aux Etats-Unis1 selon laquelle le temps moyen qui lui est consacré quotidiennement est passé entre 2008 et 2015 de 18 minutes à 2h46. Avec l’accroissement de l’utilisation du mobile, les usages numériques, mais également sociaux, changent indéniablement. Ainsi, jeter des regards à son écran alors même qu’on échange en face à face avec quelqu’un, avoir des absences dans la conversation d’un groupe car affairé à répondre à un message ou un mail « urgent » ou « important »…tous ces comportements auparavant socialement inacceptables sont aujourd’hui tolérés, comme si de moins en moins de personnes se sentaient en mesure de revendiquer eux-mêmes une « bienséance numérique » irréprochable.
Les réseaux sociaux font désormais partie intégrante de nos vies de citoyens modernes, ceci aussi bien dans les sociétés les plus industrialisées que celles moins avancées. Facebook, à lui seul, revendique 1,86 milliards d’utilisateurs mensuels dans le monde, dont 30 millions de Français en 2016. Ce succès n’est évidemment pas sans raison et l’internet en mobilité couplé à la vie sociale virtuelle constitue assurément un espace d’opportunités qui enrichit ses utilisateurs et peut marginaliser ceux qui s’en tiennent trop éloignés. Pourtant, un nombre croissant d’individus se disent dépassés par l’injonction d’être joignable, disponible, « connecté » en permanence, quand d’autres déplorent la place trop importante acquise aux écrans et aux interactions numériques, qui se fait au détriment de la qualité des relations construites dans la vie réelle. Au point d’envisager que « les écrans » atteignent en profondeur le fonctionnement des interactions entre les individus ? C’est plus que probable.
Quand 46% des adultes estiment impossible de passer la journée sans leur smartphone2, l’attachement au mobile peut basculer dans l’addiction. Un nombre conséquent de psychiatres a ainsi vu émerger une pathologie appelée nomophobie - de l’anglais « no-mobile phobia » – relevant d’une peur excessive d’être séparé de son téléphone portable. En parallèle, un phénomène de connexion excessive se développe. Une récente étude américaine3 évalue à 40% la part de la population adulte présentant une addiction aux contenus en ligne (emails ; jeux ; contenus interdits aux moins de 18 ans), tandis qu’une autre dénombrait 48% d’étudiants américains dépendants à internet, quand seulement à peine plus de 10% d’entre eux seraient complètement détachés de tout risque d’addiction. L’inquiétude de la communauté scientifique et des praticiens de santé est donc bien installée.

 Les conséquences d’une vie numérique trop envahissante

L’immersion dans le monde digital, et la virtualisation des procédés de sociabilisation qu’elle accompagne, participe au développement d’un large spectre de troubles psychologiques identifiés par un nombre croissant d’études4, allant de la dépression à l’addiction, notamment chez les adolescents. Si d’autres facteurs peuvent contribuer à expliquer leur émergence, la responsabilité portée par le recours excessif aux médias numériques est aujourd’hui établie.
Ainsi, selon une étude américaine de la Case Western University de Cleveland réalisée en 2010, les 20% d’adolescents « hypertexteurs » (envoyant 120 messages par jour au minimum) auraient deux fois plus de risque de boire de l’alcool, 41% de consommer des drogues illégales, 3,5 fois plus d’avoir des pratiques sexuelles et 90% d’avoir déjà eu au moins quatre partenaires, comparativement aux adolescents moins accros. En 2014, le psychologue Jean M. Twenge de l’université de San Diego5 constate que les américains présentent plus de symptômes dépressifs que dans les années 80, avec 74% plus de risque de souffrir de troubles du sommeil pour les adolescents. En cause notamment, le phénomène psychologique dit de « comparaison sociale », consistant à comparer sa vie à celle des autres, qui touche à son paroxysme sur les réseaux sociaux où chacun tend à se montrer sous son meilleur jour.
En outre, sociabiliser sur les réseaux sociaux peut aller jusqu’à fragiliser notre capacité à se lier à d’autres dans la vie réelle. Une étude de 2012 de l’institut Pew a montré que seulement 35% des jeunes rencontraient encore des amis en face-à-face, quand 63% d’entre eux reconnaissaient communiquer régulièrement virtuellement, avec une moyenne de 167 messages envoyés par jour. Or, notre qualité d’être social nous impose de partager nos expériences de vie avec des personnes en chair et en os. Le contact physique, le toucher, la bienveillance, la tendresse… peuvent être tout ou partie dénaturés par le mode de communication numérique. Un émoticône ne remplacera jamais un regard ou un geste réel. Les conflits et la façon dont ils sont gérés illustrent bien ce constat. Nombre d’adolescents que j’accompagne en cabinet privé m’évoquent des conflits avec leurs camarades où le numérique a contribué à envenimer la relation jusqu’à un point de non-retour. Des regrets, des excuses envers quelqu’un qui compte à nos yeux doivent être pleinement vécus et incarnés dans le corps pour être reçus et acceptés comme authentiques.
Pour Nicholas Kardaras, directeur d’une institution de soin pour adolescents près de New York, si les réseaux sociaux nous permettent de « partager » des contenus, d’« aimer », de réagir ; cela reste très différent de la « communication directe » de la vie réelle. De nombreux auteurs qualifient ce sentiment de connexion d’« illusion de lien », radicalement différent de la connivence établie au travers de relations authentiques avec des personnes bienveillantes. Sherry Turkle, psychologue et anthropologue au Massachussets Institute of Technology, rappelle que les adolescents d’aujourd’hui n’ont pas moins besoin que leurs aînés d’apprendre à éprouver de l’empathie, à réfléchir à leur identité et leurs valeurs, ou bien encore à gérer leurs émotions. En outre, elle atteste que la technologie mise au service d’une communication continue et toujours plus rapide a changé les règles du jeu, et tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs années déjà. Son ouvrage paru en 2011 et intitulé « Seul ensemble » est ainsi sous-titré : « De plus en plus de technologie de moins en moins de relations humaines ». Je partage son inquiétude d’autant que j’observe, dans ma pratique en institution publique de soin, que les parents des adolescents concernés sont, pour une bonne part d’entre eux, tout autant pris dans ce rapport non maîtrisé au numérique, faisant d’eux des arbitres, juges ou exemples très imparfaits. Encadrer leurs adolescents se révèle alors bien délicat et cet enjeu prend une envergure sociétale.

Lire la suite :
Episode 2. Du publicitaire au cerveau humain : sur la piste de l’addiction au numérique
Episode 3. Contre l’addiction au numérique : se reconnecter…au réel !


1 Kleiner Perkins Caulfield & Byers, “Internet Trends Report 2016,” SlideShare, 26 mai, 2015 ; https://www.slideshare.net/mobile/kleinerperkins/internet-trends-v1/14-14InternetUsageEngagementGrowthSolid
2 Rosenberg and Feder, Behavioral Addictions, Academy Press, 2014. . Voir aussi : Aaron Smith, “U.S. Smartphone Use in 2015,” PewResearchCenter, 1er avril , 2015 ; http://www.pewinternet.org/2015/04/01/us-smartphone-use-in-2015/ ; Ericsson Consumer Lab, “TV and Media 2015 : The Empowered TV and Media Consumer’s Influence,” Septembre 2015.
3 Susan M. Snyder, Wen Li, Jennifer E. O’Brien, and Matthew O. Howard, “The Effect of U.S. University Students’ Problematic Internet Use on Family Relationships : A Mixed-methods Investigation,” Plos One, 11 décembre, 2015 ; http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0144005
4 A titre d’exemple, l’ouvrage d’Adam Alter « Irrésistible » paru en 2017 en recense un certain nombre.
5 Article de Nicholas Kardaras, Cerveau et Psycho, numéro 87, avril 2017, adapté du livre Glow Kids du même auteur, 2016, St Martin’s Press, LLC.

https://www.mesdatasetmoi-observatoire.fr/article/hyper-communication-et-hyper-connexion-numerique-sources-et-consequences#xtor=EPR-4851-

Voir en ligne : mesdataetmoi.fr