Mort d’André Glucksmann, le philosophe en colère - Philosophie - Espace pédagogique académique

Mort d’André Glucksmann, le philosophe en colère

Le philosophe André Glucksmann, né à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) le 19 juin 1937 est mort à Paris, dans la nuit du 9 au 10 novembre. Il faisait le lien entre deux générations d’intellectuels, celle des Sartre, Aron et Foucault et les « nouveaux philosophes » ayant formé un groupe en rupture avec le marxisme dans les années 1970.

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André Glucksmann a grandi dans un milieu juif d’Europe centrale et oriental militant sioniste de gauche. Ses parents venus de la Palestine mandataire passent à l’internationale communiste en se réfugiant en France à partir de 1933. Sous l’Occupation André Glucksmann subit le sort des enfants cachés. Tandis que son père au début de la guerre, sa mère s’engage dans la résistance.
Après la libération André Glucksmann, qui vit dans un quartier populaire, suit des études « classiques » qui le mène à l’École normale supérieure de Saint-Cloud. Il obtient l’agrégation de philosophie en 1961. L’itinéraire de ce jeune homme qui évolue alors dans la galaxie communiste croise celui d’un des rares intellectuels de centre-droit de l’époque Raymond Aron dont il devient l’assistant à la Sorbonne, alors qu’il participe aux événements de mai 1968. Avec lui se plonge dans les problèmes géopolitiques, nucléaire et notamment sur la philosophie de la dissuasion. D’où son premier livre Le Discours de la guerre (L’Herne, 1967).
Classé parmi les « maos », figures de la Cause du peuple faisant l’intermédiaire entre les intellectuels de renom et la base militante, il va se faire l’un des thuriféraires de la Révolution culturelle chinoise, avant de rompre spectaculairement avec le marxisme en publiant La Cuisinière et le mangeur d’homme (Seuil, 1975) qui se vendra à des dizaines de milliers d’exemplaires.
Son itinéraire est désormais marqué par l’aventure des « nouveaux philosophes », qui sont parmi les premiers à envahir les plateaux de télévision, dont celui d’Apostrophe en 1977, et à diffuser largement leur pensée en rupture avec les idéaux communistes, auprès du grand public. La fin de cette période consiste en une initiative prise par cet homme de terrain autant que penseur consistant à emmener aussi bien Sartre qu’Aron à l’Élysée pour demander au président Valéry Giscard d’Estaing d’intervenir en faveur des réfugiés vietnamiens, les « boat-people », quittant le Vietnam communiste (« Un bateau pour le Vietnam).
Prompt à diffuser ses indignations, il sera l’une des voix qui lors des guerres yougoslaves des années 1990 se font entendre pour soutenir l’intervention contre la Serbie en 1999. Quoique se revendiquant toujours de gauche, il se convertit de plus ouvertement à l’atlantisme et à des positions pro-américaine fustigeant le « pacifisme ». Il est un des avocats constants de l’interventionnisme au nom des droits de l’homme que ce soit en Libye ou plus récemment en Libye. Vieil adversaire du président Vladimir Poutine il prend également la parole en faveur des indépendantistes tchétchène.
Par une tribune au Monde du 29 janvier 2007 il annoncera son soutien à Nicolas Sarkozy dont il s’éloignera du fait du rapprochement de ce dernier avec M. Poutine. Dans Une Rage d’enfant (Plon, 2006), il avait, en racontant ses souvenirs, expliqué les ressorts de son style et de son action toujours marqués de colère, face aux misères du monde.

Nicolas Weill
Journaliste au Monde

Voir en ligne : Interview dans l’Express (mai 2015)