Le bonheur, servitude ou vérité : interview croisée d’Alain Badiou et Roger-Pol Droit - Philosophie - Espace pédagogique académique

Le bonheur, servitude ou vérité : interview croisée d’Alain Badiou et Roger-Pol Droit

En France, la consommation de médicaments psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs, hypnotiques…) est l’une des plus importantes d’Europe. Par ailleurs, les rayons de nos librairies débordent, de plus en plus, de méthodes de « développement personnel » ou de « bien-être », d’« arts du bonheur »…

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Roger-Paul Droit / Alain Badiou
Arnaud Meyer/Picture Tank/Marc Journeau/Media Access/La Croix

 Entretien croisé de deux grands philosophes sur le thème du bonheur.

Entre paradis artificiels et sagesses soi-disant traditionnelles, les humains d’aujourd’hui se sont-ils enfin affranchis de l’angoisse d’être mortels ?
« Mirage ! », s’exclame Roger-Pol Droit qui entend rétablir la philosophie dans sa seule vocation de lucidité, de critique et même d’ironie. « Fausse route ! », lui répond Alain Badiou qui soutient que le « bonheur réel » est le signe incomparable de « la vraie vie » et de la recherche de la vérité.

La Croix : Roger-Pol Droit, vous venez de publier La philosophie ne fait pas le bonheur… et c’est tant mieux ! (1) Vous avez aussi lu le livre d’Alain Badiou, Métaphysique du bonheur réel (2). Lorsque vous avez vu ce titre, qu’en avez-vous pensé ?
Roger-Pol Droit : Ça ne m’a pas surpris. Parce que je sais bien qu’Alain Badiou est un métaphysicien et un penseur du réel. Donc je me suis dit que ce livre s’inscrivait dans la tradition classique d’une pensée du bonheur procuré par la vérité.
Je ne suis donc pas étonné du titre, ni même du thème en lui-même, mais plutôt de l’arrivée de ce titre et de ce thème dans un contexte où le bonheur ne me paraît pas être un sujet qui engage au changement, mais bien plutôt au conformisme, voire à l’asservissement.
Et vous, Alain Badiou, la crise d’urticaire de Roger-Pol Droit sur la notion de bonheur vous a-t-elle surpris ?
Alain Badiou : Je la comprends, vraiment : je suis d’accord avec lui pour dire qu’il y a une déclinaison prétendument philosophique de la notion de bonheur, qui ressemble beaucoup aux recettes pour rester en forme, aux recettes de bien-être, aux commodités diverses et, au fond, à une acceptation paisible, souriante, des meilleures conditions de vie possibles.
À partir du moment où le bonheur est défini comme une forme de consentement, je comprends qu’on estime que c’est une prostitution de la philosophie. Roger-Pol Droit en appelle à une conception critique, ironique, tout à fait opposée à cette vision pseudo-édénique du bonheur contemporain.
Lorsqu’il dit que « la philosophie ne fait pas le bonheur », on peut l’entendre dans deux sens : soit il s’agit d’une certaine philosophie qui prétend fournir des recettes de bonheur pour magazines et, là, je suis d’accord avec sa critique ; soit il affirme que la philosophie doit rester dans le registre critique et ne pas proposer une catégorie du bonheur, et alors commence entre nous la discussion.
Il y a, Roger-Pol Droit, une radicalité dans votre propos. Il semble que vous ne laissez aucune possibilité à la philosophie de seulement se préoccuper du bonheur.Bref, la philosophie n’aurait rien à voir avec le bonheur.
Roger-Pol Droit : Deux points sont à distinguer. Le premier registre est celui de l’air du temps. Depuis vingt ans au moins s’est installée cette idée qu’une des fonctions principales de la philosophie, en tout cas pour sa part la plus médiatique, serait de nous rendre heureux. Ce qui rejoint l’injonction permanente de notre époque à être « heureux », au sens particulier de la construction volontariste et permanente d’une vie et d’un monde sans négatif.
C’est cette mise à l’écart du négatif qui me fâche, car l’idée que l’existence humaine doive se résumer à « déjeuner en paix » (je pense à la chanson de Stephan Eicher), à ne plus se préoccuper de la dureté du monde, de ses conflits, de tout ce qui peut fâcher, peiner, inquiéter – au bon sens du terme –, et à jouir continûment de l’instant présent, sans stress…, cette représentation illusoire de l’existence me révolte.
Évidemment, chacun d’entre nous a bien le droit de fermer la télé et de s’arrêter un moment, mais le projet de « déjeuner en paix » 24 heures sur 24, 365 jours par an, est non seulement une illusion mais, d’une certaine manière, une abomination. Parce qu’un tel projet constitue purement et simplement un retrait, un désinvestissement général de l’existence. Dès lors que le négatif n’est plus pris en compte dans la pensée et dans l’existence, on entre dans un oubli complet de ce que sont la vie et la pensée, un oubli de ce qu’est l’humanité. Ce faux bonheur incite donc à un aplatissement de l’épaisseur de l’histoire et à une négation de la pensée qui me paraissent tristement dommageables.
J’entends dans ce que dit Roger-Pol Droit une révolte contre la « dictature du bonheur » et contre une torsion du sens de l’interrogation philosophique. Alain Badiou, vous ne partagez pas cette révolte ?
Alain Badiou : Je comprends bien que l’idéologie dominante aujourd’hui implique l’élimination du négatif. Et je suis d’accord pour me tenir à l’extérieur d’un enclos où nous pourrions déjeuner tranquilles jour après jour. Je sais bien qu’il y a une définition tranquillement consumériste du bonheur qui fait partie de la vision contemporaine du monde.
Faut-il, à partir de là, que la philosophie se désintéresse de la catégorie du bonheur ? C’est une conclusion possible. La prostitution du mot « bonheur » par l’idéologie contemporaine entraîne sans doute une difficulté à donner un sens nouveau, c’est-à-dire un sens actuel, à cette catégorie. Je rejette tout autant que Roger-Pol Droit un bonheur ajusté au monde, au monde du désir satisfait par la scintillation générale du marché. C’est bien pour ça que j’ai écrit « bonheur réel » dans le titre de mon livre. Le mot « réel » me sert à indiquer qu’il existe un bonheur factice.
La grave confusion entre bonheur et satisfaction nécessite une distinction qui gouverne mon livre. Le bonheur n’est pas réductible à la satisfaction, à l’idéal des désirs comblés, d’une existence intégralement pacifiée. Il arrive, assez souvent, que le bonheur implique une insatisfaction. Je propose un cadre métaphysique dans lequel la catégorie du bonheur est réorganisée, repensée, redistribuée, selon certaines modalités de refus du monde contemporain.
Roger-Pol Droit  : Nous abordons là le second point, qui ne concerne plus l’air du temps, mais bien le statut philosophique du bonheur. Je suis attaché, pour ma part, à la critique que Kant mène du bonheur, dans Les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), où il montre que c’est un idéal de l’imagination, et non de la raison. Kant explique que le bonheur, comme état stable, continu, durable est rêvé différemment par chacun. Ce n’est donc pas un concept, on ne peut pas constituer un savoir le concernant, le bonheur n’appartient donc pas au champ de la philosophie.
Il me semble que, à la suite de Kant, Schopenhauer, Nietzsche et Freud fournissent aussi quantité d’arguments critiques contre ce qui est votre projet : reconstruire, finalement, l’idée d’un bonheur philosophique, à travers ce que vous appelez « l’affect de la vérité », ce qui revient à dire que la vérité peut suffire à remplir notre vie d’un bonheur réel et d’un rapport à l’infini. Vous reconduisez là un idéal antique bien connu, mais qui a été érodé et critiqué, notamment par Kant, Schopenhauer, Nietzsche et Freud…
Alain Badiou : Je m’oppose absolument à la définition du bonheur par Kant. Je ne pense pas du tout qu’il soit correct de définir le bonheur comme un idéal de l’imagination. D’abord, parce que le bonheur n’est pas un idéal, mais qu’il est un état, un fait. Il y a une réalité du bonheur. Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que le bonheur est un idéal de la philosophie, puisque je précise justement que le réel du bonheur, le bonheur comme état, ne relève pas de la philosophie.
Il y a des bonheurs distribués selon les différentes procédures de vérité et, donc, le bonheur, c’est une question qui se pose à propos de la joie amoureuse, à propos de la contemplation artistique, à propos de l’enthousiasme politique, à propos de ce que Spinoza nomme la béatitude intellectuelle dans les sciences. Mon livre n’est pas une théorie prescriptive du bonheur, mais une « métaphysique du bonheur réel », c’est-à-dire une compréhension du bonheur comme état.
Cet état n’est pas produit par la philosophie, pas plus que les vérités ne sont produites par la philosophie. La philosophie tente, à partir de vérités existantes, réelles et contemporaines, de reconstruire, comme elle l’a toujours fait, un concept de vérité adéquat.
Pas de bonheur sans vérité ?
Alain Badiou   : Je décline le bonheur selon la variété des figures réelles de la vérité et je ressaisis les éventuels traits communs de cette multiplicité. Quand je dis « métaphysique du bonheur réel », ça veut dire que je vais m’atteler à la reconstruction d’un concept philosophique. Non pas à un état que la philosophie peut produire, mais à un état que la philosophie peut distinguer. Ce qui n’est pas du tout la même chose. La philosophie distingue le bonheur en tant qu’il existe en lui-même.
L’existence du bonheur, c’est exclusivement l’existence de formes subjectives de présence aux vérités, de présence aux vérités dans leur diversité, et la philosophie s’empare de cette présence non pas pour la totaliser, mais pour la discerner. La définition lénifiante du bonheur méconnaît la dimension sauvage et imprévisible de la vie.
Le bonheur réel se trouve dans la réorientation de toute une existence par des rencontres, dans le fait que vous tombez en stupeur devant une œuvre d’art qui vous parle directement et qui élargit votre subjectivité, ou bien lorsque, tout d’un coup, alors que vous séchiez depuis des jours, vous comprenez une structure mathématique complexe.
Cette compréhension, je le sais d’expérience, c’est un moment de bonheur intense, en tant qu’il est une communication avec quelque chose d’universel. C’est à chaque fois une aventure.
Roger-Pol Droit : Il me semble que « des moments de bonheur » – dont personne ne nie l’existence, et surtout pas moi ! – ne sont pas du tout la même chose que « le » bonheur, imaginé comme permanent et total. Ce qui nous sépare, c’est d’abord que je préfère écarter l’idée de bonheur de la philosophie, afin d’éviter toutes les confusions que suscite la totalisation, l’idée d’une plénitude, alors que vous, vous voulez apparemment la maintenir pour la refonder et la réhabiliter. Le fait de remettre en circulation le mot « bonheur » me semble, dans le contexte présent, nous exposer à tous les malentendus possibles.
D’autre part, je me tiens sur le versant d’une tradition sceptique – qui possède aussi son commencement dans l’Antiquité, avec Pyrrhon et Sextus Empiricus – qui soutient que nous sommes préoccupés de la question de la vérité, mais nous n’avons pas les moyens de la résoudre.
En matière d’universalité, je considère – avec Rousseau, par exemple – que les affects, les émotions, les sensations partagées sont plus importants que les vérités logiques.
N’y a-t-il pas de vérité du bonheur ?
Roger-Pol Droit : Je ne dis pas : « Soyez malheureux, c’est mieux »  ! Je n’ai rien contre les bonheurs de toutes sortes, à condition de ne pas oublier que la vie est un tout. Dire « oui » à la vie, comme l’a affirmé Nietzsche, c’est dire oui à l’amitié, à la jouissance, à la beauté, à la joie du vrai, mais aussi, nécessairement, à la trahison, à la souffrance, à l’horreur, à la misère. Non pas parce que l’on s’y résignerait, mais parce qu’il n’y a pas de possibilité de décanter l’existence pour obtenir un bonheur « pur », sans mélange et donc sans malheur.
Pour vous, Alain Badiou, le bonheur est un signe d’une résistance véritable à la servitude volontaire,laquelle inquiète aussi beaucoup Roger-Pol Droit.
Alain Badiou : Oui, absolument. Mon souci n’est pas vraiment celui d’une vie heureuse. Le bonheur réel est constitué de moments. Et d’autant plus qu’il en existe autant de formes que de types de vérités. Pour moi, il y a non pas la vérité, car c’est un concept toujours abstrait ; il y a des vérités, que la philosophie distingue. Le bonheur, c’est l’affect qui accompagne la rencontre d’une de ces vérités. À mon sens, ce qui caractérise le bonheur, c’est une certaine rareté dans l’expérience humaine. J’ai toujours conçu la philosophie comme une méthode d’encouragement aux rares aventures de la pensée et de l’existence. Ces aventures peuvent avoir une récompense subjective que j’appelle le bonheur.
Roger-Pol Droit, seriez-vous d’accord avec cette définition aventurière du bonheur ?
Roger-Pol Droit : J’avais défini, il y a quelques années, les philosophes comme des expérimentateurs d’existence. Et cette idée d’aventure, qu’elle soit affective, intellectuelle, politique ou esthétique, est évidemment la manière dont on peut soutenir la vie philosophique. Mais, pour désigner les résultats possibles de ces aventures, je préfère parler de jeu, d’allégresse, de lucidité ou de rire plutôt que de bonheur. D’autre part, il ne faut pas oublier que la vérité et le bien s’inversent aisément en terreur, dès lors qu’on veut imposer un modèle de bonheur comme devant être universel, comme devant entrer à toute force dans les réalités politiques et sociales.
Alain Badiou : La conception que je me fais du bonheur est toujours combattante. Le bonheur doit toucher à quelque chose d’universel par le biais des vérités particulières et multiformes. Il est aussi une levée contre les passions négatives.
Si l’on emploie le lexique de Freud, le bonheur est le signe d’une victoire locale contre l’instinct de mort. L’instinct de mort compris comme étant le désir de concourir au négatif, le désir d’être soi-même structuré par la servitude, l’obéissance, le conformisme.
Roger-Pol Droit : Ce qui nous sépare, c’est que vous voulez maintenir le terme de bonheur pour désigner ce combat, alors que je préfère l’écarter, parce que tous ses autres usages le contaminent d’une manière désastreuse. D’autre part, je ne peux oublier qu’au nom des lendemains qui chantent, des idéaux, des révolutions définitives et de l’universel furent édifiés des charniers, accumulés des millions de cadavres, et que tout cela se faisait aussi au nom du bien, du vrai, du bonheur à venir, définitif et absolu. Ce qui me semble rendre dangereux l’usage du terme bonheur.
Alain Badiou : Au nom du scepticisme, on a aussi beaucoup massacré. Les massacres coloniaux, la guerre de 14-18 : cela ne s’est pas fait sous l’inspiration d’une idée totalitaire. Ne mettons pas le massacre unilatéralement du côté de l’idée du bonheur, car des massacres se sont aussi faits au nom de l’idée nationale, au nom de la conservation.
Aujourd’hui, toute une ¬série de notions – comme celle du bonheur – ont en effet été prostituées. Votre propos est plutôt de les laisser choir mais, moi, je suis plutôt pour combattre pour leur relève. Je fais ça pour le « bonheur » comme pour le « communisme ». Quel communisme ? « Communisme » est un mot traîné dans un ruisseau sanglant, je le sais comme tout le monde, mais je pense qu’il y a des raisons de ne pas accepter sa ruine et son abandon. Parce que cela revient à accepter les nouvelles servitudes que l’on nous propose à sa place.
De même, « bonheur » a effectivement été prostitué par des propositions marchandes. Mais je pense qu’il vaut mieux être le gardien de ce que ces mots peuvent avoir comme capacité d’orientation des vies et comme capacité de combat. Sinon, la philosophie ne sera plus que la critique, la vigilance, l’ironie, la dénonciation des instrumentalisations totalisantes, un scepticisme actif.
Roger-Pol Droit : Je préfère le scepticisme actif, effectivement, car je suis convaincu qu’il n’appartient pas aux philosophes de prescrire des buts ni des modèles à l’existence.
Alain Badiou : Le prescriptif, c’est-à-dire ce qui propose la vente d’une nouvelle vérité, ce n’est pas la philosophie. Ceux qui peuvent prescrire vraiment de nouvelles formes en musique ou en peinture, ce sont les peintres et les musiciens. Ceux qui peuvent prescrire les nouvelles figures conjoncturelles de la politique, ce sont les militants politiques et, plus généralement, ceux qui participent aux soulèvements ou aux émeutes populaires.
Ce ne sont pas les philosophes. Ceux qui peuvent prescrire de nouvelles figures qui font la science, ce sont les physiciens, les mathématiciens, les biologistes… Ce ne sont pas les philosophes. Nous ne sommes plus au temps où Aristote faisait tout en même temps.
Au fond, la première tâche du philosophe est d’être à l’affût des vérités neuves. Il est le chasseur et le gardien des vérités neuves, et il l’a toujours été. Il n’est pas dans la prescription ; il est dans la distinction et la valorisation des vérités nouvelles. Je dis que la vie sous le signe des vérités naissantes est la vie heureuse.

Recueilli par Antoine Peillon

(1) Flammarion, 204 p., 19 €.
(2) PUF, 90 p., 12 €.

 Roger-Pol Droit et Alain Badiou, deux parcours de pensée

Alain Badiou, né en 1937, professeur émérite de philosophie à l’École normale supérieure, est l’auteur reconnu d’un « système » philosophique développé dans des traités de métaphysique : L’Être et l’événement (Seuil, 1988), Logiques des mondes (Seuil, 2006), Le fini et l’infini (Bayard, 2010) et bientôt L’Immanence des vérités.
Très engagé aussi dans le débat politique, il vient de publier Quel communisme ? (Bayard, 128 p., 14,90 €), livre d’entretien où il défend qu’« après la conversion du monde entier au paradigme du capitalisme déchaîné, nous devons (…) tout reprendre à zéro », ainsi que Métaphysique du bonheur réel (PUF, 90 p., 12 €), où il affirme, avec une joie et une force philosophiques enthousiasmantes, que « toute philosophie, même et surtout si elle est étayée par des savoirs scientifiques complexes, des œuvres d’art novatrices, des politiques révolutionnaires, des amours intenses, est une métaphysique du bonheur, ou bien elle ne vaut pas une heure de peine ».

Roger-Pol Droit, né en 1949, est philosophe, écrivain et journaliste. Auteur d’une trentaine de livres de recherche savante, d’initiation à la philosophie et aux sciences humaines, ainsi que d’œuvres littéraires, il est, lui aussi, internationalement connu.
Ses 101 expériences de philosophie quotidienne (Odile Jacob, 2001, prix de l’essai France Télévisions) ont été traduites en plus de trente langues, tandis que son enquête mondiale, menée avec Monique Atlan, sur l’évolution des représentations de l’humain du fait des mutations scientifiques et techniques (Humain. Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies, Flammarion, 2012) fait autorité.
Très vigilant sur la marche du monde, il vient de publier une vive critique de la tyrannie des « sagesses » commerciales, La philosophie ne fait pas le bonheur… et c’est tant mieux ! (Flammarion, 204 p., 19 €). Il s’y révolte contre la « philo-bonheur (qui) contribue en réalité au maintien de l’ordre et de la servitude ».

 Petite bibliothèque du bonheur

Depuis Épicure (341 à 270 av. J.-C.) et sa Lettre à Ménécée (éthique), dite aussi Lettre sur le bonheur, laquelle est toujours un best-seller (1), la philosophie n’a cessé d’arpenter les voies du bonheur. Et les plus grands penseurs anciens et classiques ont pris et repris le sujet au sérieux, parfois avec passion : Cicéron (106 à 43 av. J.-C.), s’exclamant que « le bonheur dépend de l’âme seul », Épictète (50-125 ou 130), cultivant le « contentement intérieur », Montaigne (1533-1592), Pascal (1623-1662), Spinoza (1632-1677) ou Diderot (1713-1784), tous certains que la béatitude, la sérénité, la félicité, la joie ou le plaisir sont dans la nature humaine…
Bémol central dans la pensée moderne, Kant a cependant, dans sa Critique de la faculté de juger, cette formule complexe : « Il n’y a donc pas à cet égard d’impératif qui puisse commander au sens strict du mot de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal non de la raison mais de l’imagination. »
Passant outre cette « critique » de Kant, nombreux et prolifiques sont les philosophes actuels qui ne manquent pas à l’appel du bonheur. Parmi des dizaines d’ouvrages paraissant chaque année, citons :
– Robert Misrahi, Le Bonheur. Essai sur la joie, Éditions Cécile Defaut, 2011, et La Joie d’amour : pour une érotique du bonheur, Autrement, 2014.
– Jean Salem, Le Bonheur ou l’Art d’être heureux par gros temps, Bordas, 2005. Dans un esprit proche de celui d’Alain Badiou.
–André Comte-Sponville, Le Bonheur, désespérément, Librio, 2003.
– Clément Rosset, La Force majeure, Éditions de Minuit, 1983.
– Michel Onfray, La Puissance d’exister. Manifeste hédoniste, Le Livre de Poche, 2008.
–Vincent Cespedes, Magique étude du bonheur, Larousse, 2013.
– Frédéric Lenoir, Du bonheur. Un voyage philosophique, Fayard, 2013.

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