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La structure de la révolution numérique : philosophie de la technologie

Doctorat en Philosophie délivré par l’École Doctorale 180 de Université Paris Descartes, préparé sous la direction du Professeur Michela Marzano, soutenu en Sorbonne le 21 novembre 2012, et obtenu avec la mention "Très honorable" à l’unanimité. Composition du jury : Michela Marzano (Université Paris Descartes), Bernard Darras (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Bernard Lafargue (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3), Sylvie Leleu-Merviel (Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis), Franck Varenne (Université de Rouen).
Cette thèse a fait l’objet d’une publication aux Presses Universitaires de France sous le titre L’être et l’écran : comment le numérique change la perception.

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Résumé

De quoi la révolution numérique est-elle la révolution ? Telle est la question la plus générale à laquelle tente de répondre la thèse, du point de vue d’une philosophie générale de la technologie. La recherche s’organise en trois temps correspondant à trois niveaux d’analyse.

Le premier niveau d’analyse s’inscrit sur le plan de l’histoire. Il vise à dégager la structure historique de la révolution numérique, en délimitant d’abord son périmètre diachronique et en dégageant sa place particulière au sein de l’histoire générale des techniques. L’hypothèse, c’est que la révolution numérique n’est pas un changement d’outillage mais un événement d’histoire, qui s’inscrit dans le long processus de la machinisation de l’Occident et de la succession des systèmes techniques pour aboutir à l’émergence d’un nouveau "système technique" : la révolution numérique, c’est la révolution de notre infrastructure technique systémique, c’est-à-dire l’avènement du "système technique numérique". Dans cette partie, nous privilégions le terrain historique et les données empiriques qu’il fournit, au nom d’une philosophie de la technologie fermement opposée à toute métaphysique misotechnique.

Le second niveau d’analyse s’inscrit sur le plan de la perception. Au-delà de la seule révolution numérique, il vise à dégager la structure phénoménologique de toute révolution technique, en remontant aux conditions techniques de toute perception en général. L’hypothèse, c’est qu’une révolution technique est toujours une révolution ontophanique, c’est-à-dire un ébranlement du processus par lequel l’être (ontos) nous apparaît (phaïnô) et, par suite, un bouleversement de l’idée même que nous nous faisons de la réalité. Nous nous appuyons ici sur la notion de "phénoménotechnique" empruntée à Gaston Bachelard, qui nous conduit à défendre un constructivisme phénoménologique selon lequel toute technique est une matrice ontophanique, dans laquelle se coule notre expérience-du-monde possible. Comme les précédentes, la révolution numérique apparaît alors comme une révolution de nos structures perceptives, dont la violence phénoménologique permet au passage d’expliquer le succès et le déclin de la notion de virtuel. De cette dernière, nous proposons une généalogie critique et nous montrons qu’elle n’a été jusqu’ici qu’une tentative ratée d’élucider la phénoménalité numérique, en raison de la rêverie de l’irréel qu’elle induit.

Le troisième niveau d’analyse s’inscrit sur le plan de la phénoménalité numérique enfin abordée dans sa positivité. Il vise à saisir la structure ontophanique de la révolution numérique, c’est-à-dire la nature de l’être des êtres numériques. L’hypothèse, c’est que l’ontophanie numérique résulte de onze caractéristiques phénoménologiques propres à la matière calculée, qui sont présentées dans un ordre didactique favorisant la compréhension globale du phénomène numérique. Il s’agit de la nouménalité, l’idéalité, l’interactivité, la virtualité, la versatilité, la réticularité, la reproductibilité instantanée, la réversibilité, la destructibilité, la fluidité et la ludogénéité. Nous terminons alors en analysant la responsabilité des activités de conception-création dans la genèse phénoménotechnique du réel et en particulier le rôle du design dans la constitution créative de l’ontophanie numérique. En tant qu’activité phénoménotechnique, le design est non seulement une activité créatrice d’ontophanie, mais encore une activité intentionnellement factitive, c’est-à-dire qui vise à faire-être autant qu’à faire- faire, en vue de projeter l’enchantement du monde. C’est pourquoi le design numérique, parce qu’il a la capacité d’engendrer de nouveaux régimes d’expériences interactives, joue un rôle essentiel dans le modelage de la révolution numérique. La révolution numérique, c’est aussi quelque chose qui se sculpte et se façonne, se coule et se moule dans les projets des designers. C’est une révolution de notre capacité à faire le monde, c’est-à-dire à créer de l’être.
Table des matières
INTRODUCTION. De la technologie comme philosophie

§. 1 — Le nouvel esprit technologique
§. 2 — La technique ou la question de l’être
§. 3 — De quoi la révolution numérique est-elle la révolution ?
I. LE SYSTÈME TECHNIQUE NUMÉRIQUE

Chapitre 1. La technique comme système

§. 4 — Le « système technique » selon Bertrand Gille : un concept heuristique
§. 5 — Contre le fétichisme de la technique et l’idéologie « misotechnique »
§. 6 — De la culture technique à la culture créative industrielle : la leçon du design
§. 7 — Convergence « technologique » et systématicité technique

Chapitre 2. La machinisation du monde

§. 8 — Avant les machines : l’antiquité et les systèmes techniques bloqués
§. 9 — L’invention du machinisme : la Renaissance et le système classique
§. 10 — Extension du domaine du machinisme : la « révolution industrielle »
§. 11 — De la « révolution industrielle » aux « révolutions techniques »
§. 12 — L’époque moderne et la question du « système technique contemporain »

Chapitre 3. La numérisation au pouvoir

§. 13 — L’automatisation du calcul et les nouveaux calculateurs
§. 14 — L’invention de l’ordinateur et l’ère de l’information
§. 15 — La structure du nouveau système technique
II. LA TECHNIQUE ET LE RÉEL

Chapitre 4. Les structures techniques de la perception

§. 16 — La « phénoménotechnique » ou la leçon de Bachelard
§. 17 — La technique comme matrice ontophanique
§. 18 — La dialectique de l’appareil et de l’apparaître
§. 19 — Le modèle de l’ontophanie téléphonique

Chapitre 5. Vie et mort du virtuel

§. 20 — Généalogie du virtuel : philosophie, optique, informatique
§. 21 — De la néo-métaphysique de l’image à la vulgate du réel et du virtuel
§. 22 — Fin de la rêverie : « voir les choses sous l’angle des interfaces »
III. L’ONTOPHANIE NUMÉRIQUE

Chapitre 6. Phénoménologie de la matière calculée

§. 23 — Nouménalité : le phénomène numérique est un noumène
§. 24 — Idéalité : le phénomène numérique est programmable
§. 25 — Interactivité : le phénomène numérique est une interaction
§. 26 — Virtualité : le phénomène numérique est une simulation
§. 27 — Versatilité : le phénomène numérique est instable
§. 28 — Réticularité : le phénomène numérique est « autrui-phanique »
§. 29 — Reproductibilité instantanée : le phénomène numérique est copiable
§. 30 — Réversibilité : le phénomène numérique est annulable
§. 31 — Destructibilité : le phénomène numérique peut être néantisé
§. 32 — Fluidité : le phénomène numérique est thaumaturgique
§. 33 — Ludogénéité : le phénomène numérique est jouable

Chapitre 7. Le design (numérique) de l’expérience

§. 34 — La fabrique de l’ontophanie
§. 35 — Le design et l’intentionnalité factitive
§. 36 — L’effet de design numérique et ses possibles
§. 37 — La situation interactive et notre avenir ontophanique
CONCLUSION. De l’aura radicale des choses

BIBLIOGRAPHIE