« Charlie Hebdo » : comment les enseignants en ont parlé à l'école - Philosophie - Espace pédagogique académique

« Charlie Hebdo » : comment les enseignants en ont parlé à l’école

Un article de Fanny LESBROS, Cécile BOURGNEUF et Camille KAELBLEN paru le 12 janvier 2015 à 20:39 sur Libération.fr.

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Le 8 janvier, des élèves accrochent des messages de soutien à la préfecture, à Ajaccio.
(Photo Pascal Pochard-Casablanca. AFP)

 Débat constructif, provocations... les enseignants ont été confrontés à des réactions diverses après l’attentat meurtrier.

Comment parler de l’attentat de Charlie Hebdo à l’école ? Sur Internet, sur les réseaux sociaux, beaucoup de profs racontent leurs difficultés d’évoquer le sujet avec leurs élèves, de trouver les mots justes. Certains racontent avec émotion la richesse des débats quand d’autres déplorent, impuissants, les réactions négatives de certains de leurs élèves.
« Mais qu’est ce que je vais dire à ces gamins de 10 ans ? », s’interroge une professeure sur son compte Twitter comme beaucoup d’enseignants lorsqu’ils apprennent la nouvelle. Alors c’est à chacun sa méthode. Au lieu de demander aux plus petits de respecter la minute de silence en hommage aux victimes, une enseignante a par exemple proposé à ses maternelles de dessiner :
Certains enseignants se félicitent d’avoir engagé un débat fructueux avec leurs élèves. Marie, professeure dans un collège de Seine-Saint-Denis, raconte dans son blog avoir montré les caricatures de Mahomet à ses troisièmes : « Toutes et tous ont compris. Aucun ne m’a dit : “C’est bien fait”, “Ils l’ont bien cherché”. Aucun. » Ses élèves ont tous exprimé leur émotion de façon personnelle : « Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu Liberté de Paul Eluard en sanglotant ».
Uneconseillère d’éducation raconte, sur son blog sur Libération, comment les élèves se sont sentis concernés par l’attentat : « Ils nous ont posé des questions, ils se sont posé des questions, ils étaient silencieux pour écouter les réponses. » Tout en se promenant dans les couloirs avec un journal à la main, ils commentent : « C’est affreux quand même, ils ont juste dessiné », « C’est vrai qu’ils sont allés loin mais quand même, les tuer ».

 « On a parlé et mes craintes sont devenues réalité »

D’autres professeurs se sont retrouvés totalement démunis face à la défiance de quelques élèves. William, professeur d’anglais en banlieue parisienne, raconte son échange avec une élève de sixème :
 Est-ce que tu es d’accord pour dire qu’ils n’auraient pas du faire cet attentat ? -À moitié, M’sieur. Une 6ème, déjà le crâne bien bourré.
Une autre enseignante de collège confie son appréhension à dialoguer avec les jeunes : « Je n’ai pas su garder le silence face à l’indicible. Alors on a parlé et mes craintes sont devenues réalité. » Et manque d’argument lorsque certains élèves lui envoient, en souriant pour certains : « Ils l’ont bien cherché, madame ! »
Pour Jean-Pierre Gross, enseignant dans un lycée de l’Ouest parisien, ce n’est pas une surprise : « Lors de l’affaire Merah, nous avions déjà dû faire face à des réactions franchement hostiles » explique-t-il sur Le Plus de l’Obs. Selon lui, le plus gros problème vient du fait que les élèves ne savent pas s’informer. Pour lui, les enseignants doivent donc mieux être formés aux médias pour éduquer les élèves.
Deux jours après l’attentat, une prof de troisième raconte la réticence des élèves à revenir sur ce qui s’est passé. « Je craque un peu, je sors du cadre de l’enseignant. J’avoue. Je leur dis que quand ils cessent de réfléchir, quand ils croient tout sans réfléchir, j’ai le sentiment que j’ai raté quelque chose. Ma voix trahit mon émotion. »
Une prof d’anglais de quatrième revient, sur son blog, sur la minute de silence que les écoles ont dû observer. Ses élèves débattent violemment et certains critiquent Charlie Hebdo : « Ils ont cherché aussi, depuis le temps qu’on les menace ils n’avaient qu’à s’arrêter ! » Mais à midi, tous ont respecté le silence imposé en mémoire des victimes.

 Des outils pédagogiques destinés aux professeurs

Mais comment mieux aider les professeurs désemparés face à la réaction de certains élèves ? Le ministère de l’Education nationale met en ligne des outils pédagogiquespour réfléchir et débattre avec les élèves, des ateliers avec supports sur la liberté de la presse et la liberté d’expression, une liste de livres pouvant nourrir cette réflexion et des fiches adaptées aux cours d’allemand, anglais, histoire-géo…
Pour évoquer la liberté de la presse, des journaux se sont mobilisés. Pour les plus petits, les éditions Bayard jeunesse ont publié sur leur site un communiqué destiné aux parents et aux professeurs. Astrapi a consacré plusieurs pages à l’explication des événements avec des dessins.
Et pour les lycéens, le Blog de l’Ecole des lettres a publié des tribunes sur la liberté d’expression nourries de références philosophiques. On y trouve une définition de Voltaire du « fanatisme » ou de la liberté d’expression de Spinoza.

Fanny LESBROS, Cécile BOURGNEUF et Camille KAELBLEN

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