Barbarie terroriste à Paris : le martyre injuste de Charlie Hebdo, notre martyre à tous ! - Philosophie - Espace pédagogique académique

Barbarie terroriste à Paris : le martyre injuste de Charlie Hebdo, notre martyre à tous !

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie, Paris, France
Texte publié dans la presse web africaine par un professeur de philosophie de l’académie.

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La bêtise humaine est la réalité la plus proche de l’idée d’infini, remarquait Einstein. L’actualité française le confirme. Je rentrais d’une matinée hivernale de travail ce mercredi brumeux du 7 janvier 2015 , vers treize heures, quand l’ouverture de mon téléviseur pour le journal de la mi-journée m’a confronté à un spectacle d’une insupportable horreur. Trois hommes armés de lance-roquettes et de mitraillettes et d’une haine démoniaque venaient de donner violemment la mort en plein Paris, à la quasi totalité des journalistes de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, dans une séquence dont la barbarie demeure inqualifiable. De mémoire de citoyen français, je n’avais gardé comme souvenir comparable, que le souvenir d’un autre treize heures vécu le 11 septembre 2001 à Poitiers, lorsque rentrant de l’Université où je poursuivais mes recherches, je tombai en plein TF1 sur les attentats du World Trade Center de New York. Affalement et éblouissement. Effarement. Comment décrire l’émotion qui vous saisit, quand vous savez qu’à moins de 130 bornes de votre domicile, des inconnus lourdement armés viennent d’exécuter de sang-froid des citoyens animés par la même passion de la liberté d’expression que vous ? Comment garder raison et demeurer fidèle aux valeurs de la république française quand l’acte abominable de ces obscurantistes semble offrir à l’extrême-droite en émergence dans ce pays, le viatique de peurs et de haine dont elle tire toute sa clientèle politique ? On ne peut être épris de vérité, de justice et liberté ce soir en France et se taire devant la banalisation du mal qui menace l’idéal politique de ce grand pays d’Histoire. Voici mon oraison devant cette insupportable tragédie.

Nous autres habitués de la parole publique, dont le plein exercice nous procure au moins autant d’amis, d’adversaires que d’ennemis, mesurons dans ces situations graves les risques que nous courons à assumer tout simplement notre devoir de penseurs dans le siècle. Nous vivons dangereusement. N’est-ce cependant pas cela, vivre toute son humanité ? Penser par soi-même, telle est la leçon des Lumières, c’est sur la base d’une culture critique acquise par un effort permanent d’instruction et d’éducation, articuler un jugement personnel sur le monde, sur soi-même, sur le passé, le présent et l’avenir des Hommes. Accéder à une responsabilité de soi et d’autrui qui est le limon de la liberté et de la paix civile. Trop vite dit ? Evidemment, on serait tenté, devant l’abomination qui vient de se produire, de penser que les caricaturistes de Charlie Hebdo sont tout de même allés un peu trop loin et que s’ils s’étaient tus, s’ils avaient fermé leur bouche - leur gueule diront les haineux-, ils seraient encore vivants ce soir du 7 janvier 2015. Telle est pourtant la plus stupide des erreurs de jugement : les caricaturistes de Charlie Hebdo exerçaient l’un des plus précieux acquis de longs siècles de luttes sociales dans cette Europe, dans ce monde, dans cette France : le droit à l’expression de son opinion sur la totalité du phénomène humain, le droit à la critique mutuelle et infinie des points de vue, sans violence autre que celle du dire ou de la justice chargée de réprimer les diffamations et calomnies avérées ; le droit à la dérision et à l’auto-dérision, sublime vertu de la liberté humaine, qui peut rire d’elle-même et de tout ce qui fait la camelote de nos jours terrestres. L’émotion qui vous saisit quand vous avez compris qu’on s’attaque à l’humanité même de ce monde en menaçant au bazooka une pensée libre d’elle-même, animée par ce souffle de l’esprit que rien ne peut contenir, c’est la colère juste des indignés qu’inspire le mal fait à la conscience universelle. Ce qui signifie aussi, pour qui comprend ce qui est en jeu, la nécessité de conserver raide sa nuque face à la banalité rampante du mal obscurantiste. Ne rien céder à la peur, au désespoir et à l’angoisse. Faire face.

Indignation donc. Folie aussi ? Colère juste, mais comment au juste et de quelle façon ? Indignation, derechef. Mais soif de sang contre le sang versé ? Faut-il crier vengeance, faut-il imiter jusqu’au bout les terroristes qui se sont emparés du nom de l’Islam et des édits de son prophète pour verser le sang de libres citoyens et alimenter au passage les propensions populistes à la haine inter-religieuse ? Le péril qui guette les citoyens de France et la république française en cet hiver 2015 serait bien évidemment de céder au mimétisme apocalyptique des tueurs du Charlie Hebdo. La raison critique, que les brillantissimes dessinateurs Cabu, Charb, Tignous, Kolinski et Maris , avec tous leurs valeureux compagnons de lutte, la raison critique qu’ils honoraient à merveille mérite d’être servie de plus belle ici et partout ailleurs dans le monde, face à de trop similaires barbaries. C’est donc à la force du droit, incarnée par les armées et police de France, c’est donc à la justice républicaine qu’ils faut absolument que ces criminels soient soumis et obligés. Soumis, car ce ne sont bien sûr point des enfants de choeur. En abattant de sang-froid les deux agents de police qui assuraient pacifiquement la sécurité de ce Journal si souvent menacé pour sa liberté de ton, de thème et d’affiche, les terroristes alertent la France sur la dangerosité avancée du monde de ce 21ème siècle et lui imposent d’avoir une politique sécuritaire à la taille de ses ambitions mondiales. Il faudra nécessairement leur briser les reins. Mais, j’ajoute que ces terroristes devront aussi être obligés, car le devoir dans sa noblesse requiert que le criminel soit traité avec cette dignité humaine qu’il abhorre tant, de telle sorte que la dernière et définitive violence qui leur soit faite soit celle de la justice contre la barbarie. Toute la justice, bien sûr, soutenue par les médiations matérielles d’un Etat moderne et efficace.

Ce soir, la France, ma patrie adoptive a mal en son âme. Elle est blessée par le mépris de l’innocence et de la Vie que manifestent ces crétins surarmés. Mais ce soir de deuil, il importe de Lille à Marseille, de Strasbourg à Saint-Malo, il importe au coeur de la belle Paris ensanglantée du sang de ces artistes de la liberté d’expression, que la justice triomphe sur la folie. Que la tristesse mélancolique qui transit les âmes nous oblige à célébrer davantage encore, et davantage pour tous les Français, pour tous les résidents de France, pour tous les Hommes, l’exemplarité d’une République certes imparfaite, mais dont les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ont ardemment besoin d’une plus authentique illustration en ce 21ème siècle périlleux. Salut Cabu, Charb, Tignous, Kolinski, Maris, salut, nobles morts pour la libre nutrition de nos esprits indélébiles de courage et de vérité ! Le Panthéon de l’estime citoyenne désormais vous est dû ! A nous de vous mériter désormais, ardents révolutionnaires du croquis, de la plume et du rire sardonique de toutes les vraies libertés !

Voir en ligne : Blog du Professeur Franklin Nyamsi