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Une découverte archéologique majeure en Normandie

Un homme prénéandertalien qui vivait dans la vallée de la Seine il y a 200.000 ans a été exhumé sur un site préhistorique près de Rouen. Une avancée qui devrait permettre d’améliorer notre connaissance du peuplement humain du nord-ouest de l’Europe.

Un article de Marc Cherki publié le 09/10/2014 sur le figaro.fr.

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Les trois os longs du bras gauche d’un pré-néandertalien au regard d’un bras moderne retrouvés sur le site de Tourville-la-Rivière (76) en 2010
Inrap - Denis Gliksman

Trois os humains, des vestiges d’animaux et une collection de silex. Cela n’a l’air de rien. Mais ces restes trouvés à Tourville-la-Rivière (Seine-Maritime), à une quinzaine de kilomètres au sud de Rouen, constituent une « découverte majeure ». « C’est aussi rare que celle d’une nouvelle grotte dans le sud-ouest de la France », assure Jean-Philippe Faivre, « lithicien » au CNRS (c’est-à-dire « technologue » des silex). Il a conduit les fouilles, en 2010, pour le compte de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) sur ce lieu préhistorique en Normandie. « C’est aussi rare que la découverte d’un australopithèque en Afrique du Sud », renchérit Bruno Maureille, anthropologue au CNRS à l’université de Bordeaux. Et d’ajouter : « Nous sommes en présence d’un bras gauche d’un individu qui a sans doute été charrié par la Seine. » Associés à des silex, la datation des vestiges humains et de dents d’animaux, trouvés sur le même terrain de 1 hectare, au pied d’une falaise crayeuse, ont permis de dater une occupation humaine dans la vallée de la Seine il y a entre 236.000 et 183.000 années.

Les restes de cette période de la préhistoire, pendant le pléistocène moyen (780.000-128.000 ans), antérieurs aux néandertaliens (de 118.000 à 30.000 ans avant notre ère) sont extrêmement rares en Europe. C’est le douzième site découvert sur le Vieux Continent et le deuxième en France, après des bouts de deux crânes de Biache-Saint-Vaast, près de Lille. Les vestiges du bras permettent aux experts de parler « de l’individu de Tourville-la-Rivière » qui devrait aider à tirer des enseignements sur « la connaissance de cette lignée humaine ».

L’étude de la forme et de la longueur des trois os longs du bras du même individu, un grand adolescent ou un jeune adulte, a conduit les chercheurs à les associer à ceux de la lignée de Néandertal, notamment ceux découverts en Israël. Mais ils présentent des spécificités. « Une petite crête totalement anormale a été identifiée sur l’humérus. Ce qui est sans doute lié au mouvement répété de tendre le bras, car il a nécessité une sollicitation du muscle deltoïde », précise Bruno Maureille. Une déformation comparable à celle qui atteint certains sportifs, comme « ceux qui font du base-ball », ajoute l’anthropologue. La raison de cette action n’est pas connue.

Des panthères en Normandie

Le site de Tourville-la-Rivière, « même s’il n’est pas un grand site archéologique, était une fenêtre de vie, un lieu de passage à l’époque du pré-Neandertal, où il y avait des arrêts brefs et répétés », avance Jean-Philippe Faivre. Sur une petite zone de 3 m², creusée seulement entre 50 et 60 cm de profondeur, il a été retrouvé près de 300 silex. Et ils n’ont pas été apportés par la Seine. La preuve ? Un silex savamment taillé a été retrouvé à 80 mètres de distance de son nucléus, c’est-à-dire de la roche mère d’où a été extrait l’outil sculpté par des individus préhistoriques. Ils utilisaient leurs silex probablement pour dépecer des animaux, eux aussi apportés par la Seine, ou chassés dans les forêts de la région. Des ossements permettent de certifier la présence de « 12 à 15 espèces de grands mammifères, parmi lesquels des chevaux, des loups, des aurochs, des rhinocéros et même des panthères. Ces dernières, jusqu’alors, n’avaient pas été documentées dans la région », ajoute Céline Bémilli, archéozoologue à l’Inrap. Des fractures en spirale, effectuées peu de temps après la mort de l’animal, attestent des gestes d’individus préhistoriques. Une opération effectuée probablement pour consommer la moelle des os.

Pour aller plus loin, les chercheurs espèrent poursuivre leurs investigations sur les os du bras. Ils veulent déterminer, si possible, une présence d’ADN, pour compléter la lignée du Néandertal.

Ces travaux de l’Inrap et du CNRS ont fait l’objet d’une publication, mercredi, dans la revue Plos One, en coopération avec des chercheurs en Australie, en Espagne et aux États-Unis. Parmi eux, Les Kinsley, archéologue à l’université de Canberra (Australie), a cosigné cette semaine un article dans Nature sur des peintures rupestres de 40.000 ans découvertes aux Célèbes (Indonésie).

Voir en ligne : Lire l’article sur le Figaro.fr