Il convient de souligner que le problème de cette tradition de représentation n'est pas que les femmes ont tort de vouloir être attirantes ou sexy, ou qu'admirer la beauté est en quelque sorte superficiel ou immoral. Le problème réside plutôt dans la manière dont la beauté est définie : comme un moyen d'accéder au pouvoir masculin par le biais d'une soumission stratégique. Ce n'est pas simplement le sexe ou le sex-appeal qui est en jeu ici, mais une construction particulière de ce charme, de cette désirabilité sexuelle, en termes de relation de pouvoir, de domination masculine et de subordination féminine. Et c'est une façon de penser la sexualité et les relations humaines qui, à long terme, peut nous causer des problèmes à tous.

Le regard masculin n'est pas seulement une ruse perpétrée par des hommes manipulateurs au détriment de femmes malchanceuses. Il fait désormais partie intégrante des structures émotionnelles de notre époque et, à ce titre, il nuit à la santé psychologique des hommes et des femmes et à notre capacité à entretenir des relations mutuellement épanouissantes. Sue Brideshead, l'héroïne fictive du roman "Jude l'Obscur" de Thomas Hardy, parle d'un besoin inné qui mine la moralité de certaines femmes presque plus que la passion effrénée - le besoin d'attirer et de captiver - un besoin auquel elle attribue certains des défauts de sa vie et de ses relations. Hardy l'a créée en 1895, alors que la société de consommation n'en était qu'à ses débuts et que les femmes commençaient tout juste à ressentir les modestes libertés nouvelles de se déplacer, de voir et d'être vues dans le monde. On pourrait soutenir qu'Hardy était insensible au rôle du patriarcat dans tout ça ; si le pouvoir entre les hommes et les femmes était égal, les femmes seraient probablement moins enclines à chercher leur épanouissement dans l'attraction des hommes. Mais l'omniprésence d'images comme celles que nous avons vues précédemment, dans notre culture, depuis un siècle maintenant, contribue certainement à cultiver "l'envie d'attirer et de captiver" chez les femmes. Et dans la mesure où les femmes se retrouvent embrigadées par cette envie, elles sont moins susceptibles de rechercher satisfaction et récompense dans leurs propres réalisations, et dans des relations avec les hommes et leur entourage fondées sur le respect mutuel et le soutien.

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