Vers une paix des programmes ? - Philosophie - Espace pédagogique académique

Vers une paix des programmes ?

Sur le livre de Serge Cospérec « La guerre des programmes (1975-2020) L’enseignement de la philosophie, une réforme impossible ».

, par Franck Lelièvre - I.A. I.P.R., Louis Rouillé, Serge Cosperec - Format PDF Enregistrer au format PDF

 Une histoire, des questions et des débats

Comment comprendre que l’enseignement de la philosophie en France en lycée soit dorénavant encadré par un programme officiel qui ne prescrit plus aucun ordre ni objet déterminé ?

Un esprit facétieux ferait remarquer qu’il est bien difficile de savoir ce que l’on y apprend au juste. Que « l’on sait qu’on ne sait rien » ? Ayant vivement écarté les pompeuses formules d’usage, il demanderait qu’on précise, surtout à l’élève ou au parent d’élève, ce que le professeur enseigne, selon quelles méthodes et surtout comment est évalué à l’examen, voire durant l’année, le travail des élèves.

Questions fondamentales qui sont réglées d’ordinaire par la pratique, la tradition, la compétence et le savoir-faire – c’est-à-dire sans pouvoir en réalité en « rendre raison ». Questions cruciales. Ce sont celles, classiques mais inévitables, du type de connaissance qu’est la connaissance philosophique et de son objet mais aussi celle des méthodes et normes de son enseignement et de ce qui fait leur rigueur et sa vérité.

Pour certains, qui mettent la liberté au sommet des valeurs, cet état de fait est un privilège, une victoire, le résultat d’un combat acharné. Mais ceux qui préfèrent la justice, posent la question de la conformité de son enseignement avec l’égalité des chances, le contrat démocratique, la réalité, au fond, de l’accès de tous à la culture. Ceux qui enfin prisent la précision et la rigueur, considèrent qu’il est urgent pour la vitalité de la philosophie en France et son avenir, que ces questions au moins soient posées.

Ces questions sont celles de Jacques Bouveresse qui préface ce livre et ce sont celles que sa lecture peut aider à ouvrir. Il faut donc recommander le livre de Serge Cospérec, sorti tout récemment, « La guerre des programmes (1975-2020) L’enseignement de la philosophie, une réforme impossible ».

Il sera utile à tous et particulièrement aux jeunes professeurs qui entrent dans ce métier et qui ignorent le détail de cette triste histoire. Ce livre raconte sa violence, certaines de ses raisons, beaucoup de prétextes à basses manœuvres. ll n’apporte pas de solution mais il permet au moins à chacun de comprendre comment cet imbroglio s’est noué. En effet, Serge Cospérec qui connait ces péripéties de l’intérieur et comme protagoniste et a voulu s’en faire l’exact mémorialiste.

Cet échange s’est tenu la veille des épreuves du baccalauréat entre deux praticiens à l’extrémité de leur vie professionnelle et un troisième qui s’engage dans la carrière. L’échange très libre a été noué et mené avec vigueur par ce dernier, chercheur confirmé, à la parole vive et aux orientations bien affirmées. C’est un appel à contributions pour une discussion qui reste largement ouverte.

F. Lelièvre, le 20 juin 2022.

 1ere partie : du progressisme et du conservatisme en philosophie

Où nos héros affrontent la difficile distinction entre la gauche et la droite à l’endroit de l’enseignement philosophique, sans conclure avec certitude que le domaine de l’enseignement de la philosophie connaît les mêmes fractures politiques que les autres domaines de la vie publique, si bien qu’il existe peut-être une manière toute singulière d’être réactionnaire lorsqu’on est philosophe aujourd’hui en France.

 Conservateurs et progressistes

Discussion avec Serge Cospérec (1A)

 « La classe de philosophie n’est pas faite pour accueillir les élèves médiocres »

Discussion avec Serge Cospérec (1B)

 2e partie : comprendre et discuter le rapport Bouveresse-Derrida

Où l’on voit apparaître les deux Jacques comme l’ombre de Pierre Bourdieu projetée dans le grand salon de la maison Éducation Nationale, et où l’on décode les idées politiques de bon sens qui réunissent ces deux philosophes contemporains que tout oppose par ailleurs, montrant par cette petite histoire que c’est certainement l’inimitié qui aura lié les destins des deux Jacques, tant il est certain que ce petit rapport aura déclenché l’ire des ultras et rendu manifeste leurs techniques de manipulation de la profession.

 Bourdieu-Derrida-Bouveresse

Discussion avec Serge Cospérec (2A)

 Un champ de bataille

Discussion avec Serge Cospérec (2B)

 3e partie : de la sociologie et de la pédagogie en philosophie

Où les héros de cette discussion, examinant la curieuse expression "la philosophie est à elle-même sa propre pédagogie", comme Alice, chutent dans un terrier sans fond. Ils cherchent avec peine à localiser l’origine réelle des désaccords entre les vénérables membres de la congrégation philosophique et néanmoins nationale, essayant de distinguer l’analyse sociologique de l’émergence des idées philosophiques d’une histoire des idées proprement dite où priment et s’affrontent directement les idées qui s’imposent indépendamment de la biographie accidentelle des picaresques acteurs de cette farce institutionnelle, en considérant pour finir les manières de troubler l’équilibre général des bonheurs et malheurs éducatifs afin de faire pencher la balance durablement en faveur des premiers et en défaveur des seconds.

 « Le comble de la vulgarité en philosophie, c’est le souci d’intéresser »

Discussion avec Serge Cospérec (3A)

 Le sophisme de la liberté

Discussion avec Serge Cospérec (3B)

 Comment prendre soin des profs ? Mutualiser, s’économiser

Discussion avec Serge Cospérec (3C)

 Épilogue : une ruse de la raison ?

 La couronne des conservateurs était une couronne mortuaire.

D’un côté, la situation de l’enseignement de la philosophie n’a fait qu’empirer. Le demi-siècle de « défense », obstinément conservatrice de la défunte classe de philosophie - « couronnement des études secondaires » n’a jamais défendu ce qu’elle disait ou croyait défendre. Qu’on en juge par ses résultats : disparition de la classe de philosophie (1969), de son héritière, la TL (2019), réduction des horaires, des coefficients, disparition des dédoublements, réduction du nombre de postes et avec ses conséquences pour le supérieur, etc.
Le refus des propositions Derrida-Bouveresse (1990) a privé notre enseignement de l’occasion unique qui lui était offerte de consolider sa place dans l’institution scolaire par son extension en Première et dans les 1ers cycles universitaires ; le refus des projets de programme des groupes « Beyssade » (1992) puis « Renaut » (2002), le refus d’envisager des modalités d’enseignement et d’exercice plus adaptées pour les séries techniques, ont renvoyé l’image d’une discipline crispée sur son passé, incapable de s’adresser à la plus grande partie de la jeunesse, celle qui désormais accédait au lycée.
Les conservateurs ont obtenu une victoire à la Pyrrhus. Ils ont failli à leur responsabilité d’aînés. Les jeunes collègues héritent d’un champ de ruines.

 Ironie de l’histoire et nouvelle jeunesse

D’un autre côté, placés dans cette situation inédite, nombre de professeurs réinventent quotidiennement les manières d’enseigner. Ce qui semblait impossible hier devient possible ; les signes s’inversent : le négatif devient positif. Ainsi avec la spécialité HLP, on découvre :

  • qu’il est intéressant de philosopher en première et qu’un programme précis et historiquement contextualisé n’est nullement incompatible avec l’enseignement de la philosophie et la liberté du professeur qui reste, de fait, maître de la conduite de son cours, de sa pédagogie et de ses conclusions ;
  • que l’essai philosophique constitue un type d’exercice philosophique ancré dans le meilleur de nos traditions et dans la pratique des philosophes eux-mêmes qui ont plus souvent écrit des essais que des dissertations ;
  • qu’en dépit de conditions difficiles, des collaborations fructueuses entre philosophie et lettres ont pu se mettre en place, débouchant sur des pratiques originales, mutuellement enrichissantes, dépassant les cloisonnements disciplinaires, et permettant aux élèves de saisir in concreto l’unité d’une culture artificiellement segmentée pour les besoins de l’enseignement.

Mais il y a plus.
Libérés des formes sclérosantes du passé, les jeunes professeurs font preuve d’une grande inventivité pédagogique. Ils osent, ils essayent, ils expérimentent, ils mutualisent leurs pratiques ; certaines d’entre elles, hier marginales, se diffusent (« colloque des philosophes », utilisation du cinéma) et de nouvelles apparaissent (réalisation de vidéos, de cartes conceptuelles, invention d’exercices nouveaux, etc.). Preuve, s’il le fallait, de la vitalité de l’enseignement de philosophie.
A l’exercice solitaire du métier (la figure du Professeur-Philosophe), ils préfèrent le collectif qu’ils perçoivent, à raison, comme une ressource. Ils assument la dimension pédagogique, jusque dans les désaccords. L’unanimisme contraint d’hier n’est plus la règle, ils sont plus ouverts à toute proposition, ce qui ne les empêchent nullement de juger. Rien n’est plus expressif de cet état d’esprit que les échanges du groupe de philosophie constitué sur Facebook. Déconcertants au premier abord, par la profusion et la variété des sujets abordés, on y voit toutes sortes de propositions, de demandes, d’échanges de service, etc. Le meilleur côtoie le pire, mais peu importe, ce n’est pas l’objet et les collègues font le tri ; ce qui importe est que de tels lieux d’échange existent.

 Se réinventer

À mes yeux, l’enjeu des années à venir sera triple :

  1. Préserver les acquis : ne pas céder aux sirènes conservatrices qui demanderont comme toujours le retour à l’éternel hier (notions-leçon-dissertation) ; et s’inspirer, peut-être, pour les programmes et les exercices de Terminale, de l’expérience de la HLP ;
  2. Trouver des modalités d’enseignement et d’exercice réellement adaptées aux séries techniques ;
  3. Trouver un mode d’intervention (des ateliers périodiques ?) et des modalités adaptés (programmes et exercices) pour offrir l’enseignement de la philosophie aux élèves qui en sont encore privés, à savoir ceux des séries professionnelles ; exigence démocratique élémentaire.

Je me souviens d’une forte parole de Jean-Louis Poirier :

l’enseignement de la philosophie se perdra si, en son attachement à une imago de lui-même, il refuse de changer sa manière d’être, c’est-à-dire sa manière d’enseigner.

L’emprise des schèmes conservateurs m’inclinait à le croire perdu, par immobilisme. Les jeunes collègues, qui rejettent les vieilles lunes du passé, sont en train de le sauver.
C’est une très bonne nouvelle.

Serge Cospérec
Le 5 juillet 2022.

P.-S.

S. Cospérec a bien voulu proposer au lecteur les notes préparatoires à cet échange. C’est un travail considérable et nous l’en le remercions. Il va de soi qu’il s’agit là de pièces pour un échange et, en particulier, de citations visant à étayer selon lui la position de chaque camp. Travail précieux et complémentaire qui permettra au lecteur et aux éventuels contradicteurs d’affiner leurs arguments.

Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom