Simone Weil contre les valeurs de la République - Philosophie - Espace pédagogique académique

Simone Weil contre les valeurs de la République

, par Louis Rouillé - Format PDF Enregistrer au format PDF

 Contexte

Le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports (MENJS) a diffusé le 1er novembre auprès de tous ses personnels éducatifs un document de 50 pages intitulé « 2 novembre 2020. Documents pédagogiques commentés » (on le trouvera ici). Le 2 novembre 2020 fut la rentrée des vacances de la Toussaint, et une journée d’hommage à Samuel Paty, assassiné dans les circonstances que l’on sait avec les très nombreuses conséquences médiatiques et politiques que l’on connaît. [1] Ces documents sont présentés comme des « ressources pédagogiques » afin de préparer « un temps pédagogique, en classe, adapté à l’âge des élèves, autour des valeurs de la République et de son École. Ce temps pédagogique pourra se tenir tout au long du mois de novembre, à l’appréciation du professeur ». [2] L’introduction de ce document indique son contenu :

16 documents (poésies, discours, littérature, textes de réflexion et documents iconographiques) sont proposés au choix des professeurs comme supports pour la séance pédagogique du 2 novembre. Ils sont accompagnés de pistes d’analyse et de propositions d’activités en lien avec la défense de la liberté d’expression, des valeurs de la République et du rôle de l’École.

Le document n’est pas signé et, par conséquent, je considérerai que son auteur est le MENJS dans la suite de cet article. [3]

Quelle surprise de voir apparaître un texte de Simone Weil dans ce document ! Texte que je connaissais et que j’aime beaucoup par ailleurs. Le choix m’a donc ravi. Cependant, son commentaire m’a paru largement erroné dans ce qu’il implique, ou dans ce que j’ai compris qu’il implique. Le voici extrait du document du MENJS :

Commentaire WEIL — MENJS

Ce que le commentaire suggère, c’est que le texte de Weil (ré)affirme les « valeurs fondatrices de la République ». En particulier, ce serait un texte qui établit la place fondamentale de « la liberté individuelle et la liberté d’expression ». Je dis "suggère", car le MENJS se borne à affirmer qu’il y a des « liens » avec ces thématiques. Mais étant donné le contenu du commentaire, il me semble que la nature de ces liens sont en effet une forme d’affirmation. Ce que je voudrais montrer au contraire est que ce texte doit se lire comme une critique radicale de quoi que ce soit qu’on puisse appeler les « valeurs fondatrices de la République », et par conséquent de « la liberté individuelle et la liberté d’expression » aussi. Simone Weil est contre les valeurs de la République. Pour cette raison, Simone Weil se prête assez mal à un exercice de propagande Républicaine.
Il est cependant vrai de dire que le texte de Weil est en « lien » avec les thématiques citées. Ce lien est en fait un lien d’incompatibilité. De deux choses l’une donc : soit le MENJS a fait une erreur d’interprétation de Weil ; soit le MENJS a donné l’aval à ses personnels éducatifs pour critiquer les valeurs de la République sur la base de ce texte pendant l’hommage national rendu à Samuel Paty et pendant tout le mois de novembre 2020.

Avant de commenter le texte proprement dit, il n’est pas inutile de rappeler que Simone Weil a soutenu des thèses incompatibles avec les « valeurs de la République » à plusieurs endroits de son œuvre. Le commentaire que je m’apprête à faire n’est donc en rien étonnant pour qui connaît l’œuvre de la philosophe. Il sera même jugé trivial par les connaisseurs, et c’est sans doute le lot des professeurs de philosophie que "d’enfoncer des portes ouvertes". [4] La porte ouverte en question se trouve dans les premières lignes de l’Enracinement, dans lesquelles Weil explique pourquoi la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC) est toute basée sur une erreur. L’erreur consiste à parler de droits fondamentaux, alors que « la notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative ». [5] Proclamer les « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme », absolus donc, mène nécessairement à une contradiction dont les "hommes de 1789" (comme Weil les appelle) se sont rendus coupables. Et Weil d’ajouter à propos de cette erreur fondamentale :

Cette contradiction les a fait tomber dans une confusion de langage et d’idées qui est pour beaucoup dans la confusion politique et sociale actuelle.

Ainsi, dans la mesure où la DDHC est un texte constitutionnel et qu’il recueille une bonne partie de ce que l’on désigne aujourd’hui par « les valeurs fondatrices de la République », Weil est absolument contre ces valeurs. C’est ainsi qu’il faut comprendre le sous-titre de l’ouvrage Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain : il faut changer les « valeurs fondatrices de la République », et passer d’une déclaration des droits à une déclaration des devoirs. On ne saurait être plus radicalement contre les valeurs de la République. [6]

 Commentaire

Pour commencer, voici le chapitre entier, avec les lignes numérotées. Le texte proposé par le MENJS est coupé à peu près à la moitié. Je vous conseille de le lire maintenant avant d’entrer dans le commentaire proprement dit.

Simone Weil 1949 L’enracinement, “Première partie : les besoins de l’âme ; chapitre 2 : la liberté”

Le §1 contient une formule intrigante, et une définition qui ouvre vers un problème.
Les remarques lexicales du MENJS sur la formule d’ouverture sont très justes et très habiles. Conceptuellement (et lexicalement comme le remarque le MENJS) la formule « Une nourriture indispensable à l’âme humaine est la liberté. » insiste sur un strict parallélisme entre l’âme (ou l’esprit) et le corps. On sait bien évidemment que le corps a des besoins vitaux. Mais on ignore généralement que l’âme aussi a des besoins vitaux. C’est ce qu’affirme Weil, contre l’intuition et la tradition.
Ce parallélisme strict est en effet très original dans la tradition philosophique. Traditionnellement, la distinction de l’âme et du corps est construite pour rendre compte d’une différence irréductible entre la vie du corps et la vie de l’âme. En particulier en ce qui concerne la fin de vie. L’observation nous montre sans aucun doute possible que le corps est mortel. En revanche, on trouve de nombreux arguments dans la tradition pour conclure que l’âme, elle, est immortelle. La "vie" de l’âme est donc profondément différente de la vie du corps. Parler de "nourriture de l’âme" est donc assez étonnant : c’est à la fois reconnaître la distinction de l’âme et du corps. Sinon, on réduirait la vie de l’âme à la vie du corps comme, par exemple, le fait la tradition matérialiste, et alors il n’y a pas de nourriture spécifiquement spirituelle. Mais c’est envisager en même temps que l’âme pourrait, littéralement, mourir de faim. Ce faisant, Weil ouvre la possibilité que l’âme meurt sans que le corps ne meurt. On pourrait nourrir le corps des nourritures terrestres et affamer l’âme des nourritures spirituelles. En particulier, priver un humain de sa liberté en continuant à nourrir son corps ferait de lui un corps vivant avec une âme morte. On aurait alors affaire, littéralement, à un mort-vivant. [7]
Pour montrer à quel point Weil se situe à la fois contre la tradition et l’intuition, je pense qu’il est utile de faire référence au thème bien connu de la "corruption de l’âme", éprouvé depuis l’œuvre de Platon. Chez Platon, par contraste, ce n’est pas un manque de nourriture (a fortiori de liberté) qui corrompt l’âme, mais c’est l’injustice (c’est-à-dire une forme de déséquilibre) qui fait dépérir l’âme. À ceci près que l’injustice, tout en étant ce mal qui corrompt l’âme, ne peut pas faire périr l’âme littéralement. Cela est tellement indubitable que Platon utilise ce fait pour prouver que l’âme est immortelle dans la célèbre démonstration de l’immortalité de l’âme de la fin du livre X de la République, précédant immédiatement le récit du mythe d’Er le Pamphilien. On peut schématiser l’argument de Platon ainsi :

  • Tout ce qui meurt, meurt du mal qui lui est propre.
  • Le mal propre de l’âme, c’est l’injustice.
  • Or, manifestement, certains hommes injustes continuent à vivre malgré le fait qu’ils sont injustes.
  • Donc, l’âme est immortelle.

En remplaçant ici injustice par privation de liberté dans les deuxième et troisième prémisses, on comprend toute l’originalité (et le caractère très contre-intuitif) de la thèse enclose dans la formule de Weil. Tout aussi manifestement qu’il existe des humains vivants et injustes, il existe des humains esclaves, captifs ou détenus et vivants. Cette simple observation devrait nous forcer à interpréter la formule de Weil métaphoriquement. Et pourtant, sans aucun doute, son intention est de forcer au contraire la littéralité du parallélisme. On s’engage donc dans une réflexion contre-intuitive et abstraite.

Les deux phrases suivantes (l. 2-3) proposent une définition de la liberté. Cette définition, quant à elle, est tout à fait classique, comme le note effectivement le MENJS. Être libre, c’est pouvoir réellement choisir. L’insistance sur la réalité du choix, c’est rejeter les thèses qui accorderait l’existence d’une liberté irréelle. Autrement dit, c’est révoquer une conception purement métaphysique du choix, indépendante d’une psychologie du choix.
On peut distinguer deux types de liberté irréelle écartée par Weil, c’est-à-dire un choix en théorie qui n’est pas un choix en pratique. Le premier cas est celui de l’alternative illusoire : par exemple, un enfant qui croit choisir lorsqu’il répond à la question "veux-tu prendre une douche avant ou après manger ?". L’alternative est illusoire puisqu’il ne s’agit pas de lui laisser choisir s’il prendra une douche ou non, ce qui n’est pas négociable, mais de choisir quand il prendra une douche. Ce genre de stratagème donne l’illusion du choix, et donc de la liberté, à l’enfant. Le deuxième cas est celui où une branche de l’alternative est en fait impossible. Par exemple, il serait absurde de prétendre que si je suis en voiture dans un embouteillage sur le pont Guillaume de Conquérant qui traverse la Seine à Rouen, c’est que je l’ai choisi. En effet, bien que traverser la Seine en hélicoptère est une possibilité métaphysique indéniable, elle n’est pas une possibilité en pratique pour moi, qui, ayant une voiture, doit emprunter un pont pour traverser la Seine. [8] On peut ainsi apprécier que la définition de Weil embarque une conception entièrement pratique de la liberté, se plaçant par là même contre les (très nombreux) auteurs qui discutent de la liberté sur un plan purement métaphysique (ou existentiel) du terme.

Enfin, l. 3-5, Weil introduit le problème auquel elle va donner une solution dans ce chapitre. Il s’agit du statut des règles de la vie commune sont par définition des procédures qui « limitent le choix », c’est-à-dire qui évacuent des possibilités. Par « règle », il faut donc entendre ici les obligations et les interdictions mises en place par une communauté. [9] Dans une communauté politique moderne, ces règles prennent la forme de lois. Mais il faut se placer à un plus haut niveau d’abstraction, car il ne s’agira pas uniquement de considérer les communautés politiques modernes (« Partout où il y a vie commune »). Remarquons qu’obligations et interdictions sont inter-définies logiquement à l’aide de la négation. [10] Le terme générique (utilisé par Weil dans l’ouvrage, mais pas dans ce texte) étant le devoir. Le devoir est le genre (notion abstraite associée ici au terme de règle, comprise comme réalisation concrète de la notion abstraite) dont les obligations et interdictions sont les espèces. Pour simplifier, je ne prendrai dans la suite de ce commentaire que des exemples d’interdiction, qui me semblent plus intuitifs, mais les lectrices et lecteurs pourront réfléchir en terme d’obligations sans dénaturer mon propos.
Ici, un deuxième point de logique déontique est important à rappeler : une interdiction (ou une obligation) de faire quelque chose implique la possibilité de ne pas suivre la règle prescrite. "À l’impossible, nul n’est tenu" comme dit le proverbe. Les interdictions communautaires ne concernent donc qu’un sous-ensemble des comportements possibles. D’où l’absurdité d’interdire à quelqu’un de respirer par exemple, ou toute autre action dont la contradictoire serait impossible. [11]
Enfin, commentons le rapport à « l’utilité commune » : les règles (interdictions ou obligations) sont des moyens dont la fin est l’utilité commune. La notion d’utilité commune reste indéfinie dans ce texte, du fait du haut degré d’abstraction de l’argument de Weil. Mais étant donné ses exemples, on peut affirmer que l’utilité commune a pour condition nécessaire l’intégrité physique et morale de tous les individus de la communauté considérée. Une condition suffisante n’est pas requise pour la compréhension de l’argument du texte. Pour reprendre un terme important du commentaire du MENSJ, on peut invoquer ici la notion de consensus qui fournirait une condition suffisante (assez coûteuse en pratique mais parfaitement adaptée en théorie). Il suffit de regarder ce qui est accepté unanimement dans la communauté considérée pour trouver une réalisation de la notion d’utilité commune ici considérée.
Prenons un exemple simple pour illustrer ces définitions abstraites. En France, le code de la route impose que tous les individus roulent sur la voie de droite de la chaussée, quel que soit le marquage au sol, et la taille de la chaussée. C’est une obligation. De manière duale, il est interdit de rouler sur la voie de gauche, sauf cas exceptionnels indiqués dans le règlement. On voit ici que cette interdiction implique en effet la possibilité d’être enfreinte. L’interdiction est marquée par une ligne blanche continue qui est clairement franchissable, et il n’y aurait aucun sens de mettre en place cette interdiction si, par exemple, il y avait des terre-pleins centraux sur toutes les routes de France, puisqu’il serait alors impossible de changer de voie. [12] Quand à l’utilité commune ratifiée par consensus, elle est évidente ici. Tous les individus y trouvent un intérêt majeur : celui de ne pas croiser de véhicule roulant en sens inverse sur leur propre voie (sauf circonstance exceptionnelle). L’important, c’est précisément qu’il y ait consensus, pour que l’utilité soit réellement commune. Car si un seul individu choisissait précisément de rouler à gauche, alors il est un danger pour tous les autres en tant qu’il peut potentiellement croiser n’importe qui sur la route, et donc provoquer un accident mortel. Remarquons que l’objet du consensus importe peu, tant qu’il y a consensus. En effet, en Angleterre, le consensus est de rouler à gauche, et le raisonnement est rigoureusement le même. Pour cette raison, chaque conducteur est obligé de suivre les règles du pays où il circule quel que soit le type de voiture ou les habitudes acquises. "Rouler à droite en France", voilà une « règle, imposée par l’utilité commune, [qui] limite le choix. » [13]

Le §2 est, selon le MENJ, un "rectificatif" par rapport au 1er. C’est faux. Il s’agit de la position du problème. C’est un problème très classique d’interaction entre les interdictions [14] et la liberté. Simone Weil ne rectifie rien ici. Elle rappelle l’intuition commune et annonce que son argument ira contre cette intuition. L’intuition commune consiste à penser que la liberté est incompatible avec l’interdiction. Intuitivement, le raisonnement est le suivant :

  • La liberté, c’est la possibilité de choix.
  • L’interdiction diminue le nombre de choix.
  • Donc, l’interdiction est par définition contraire à la liberté.

La thèse sous-jacente de l’intuition commune est ainsi une théorie quantitative de la liberté selon laquelle le degré de liberté est fonction du nombre de possibilités de choisir. Pour faire simple, plus on a de possibilités (réelles) de choix, plus on est libre ; moins on a de possibilités (réelles) de choix, moins on est libre. Voilà ce que nous dit le "bon sens".
Mais c’est un sophisme contre lequel Weil va argumenter dans la suite du texte. Le sophisme consiste à confondre la quantité et la qualité des choix. Ce n’est pas la quantité des possibilités qui compte, mais la qualité des possibilités. Éliminer les possibilités mauvaises ne diminue pas la liberté. [15] Autrement dit, si l’interdiction est bonne, alors elle n’est pas liberticide. Simone Weil ira même plus loin (dans la droite lignée de Kant d’ailleurs), puisqu’elle va montrer que l’existence des bonnes interdictions est une condition de possibilité de la liberté. Cette thèse est donc exactement opposée à l’intuition. Tout le problème (classique) annoncé ici va donc consister à savoir distinguer une bonne interdiction (qui permet la liberté) d’une mauvaise interdiction (qui est liberticide).
Weil consacre ainsi logiquement le §3 à la description des "bonnes règles", une description empirique et approximative qui rompt avec l’argument abstrait structurant le chapitre. Ce paragraphe apparaît ainsi comme une pause dans le raisonnement, décrivant à quoi ressemblerait un système d’interdictions dans un monde libre (puisqu’il y en aurait nécessairement). Le paragraphe parle de lui-même et le MENJS liste les critères identifiés par Weil (en utilisant le crucial "consensus", sans en souligner la portée comme je l’ai fait plus haut). Il n’est sans doute pas nécessaire de remarquer que ces critères ne correspondent en rien au monde dans lequel nous vivons. Ce dont il faudrait conclure, en toute rigueur, que les lois de notre pays, a fortiori les « valeurs de la République », ne permettent pas la liberté. C’est ce que la suite du texte montre.

La deuxième moitié du texte reprend l’argumentation abstraite afin de montrer en quoi les bonnes interdictions sont des conditions de possibilités de la liberté. Weil fait un raisonnement en deux étapes, considérant d’abord la liberté individuelle (l. 19-28), puis la liberté collective (l. 29-36). La radicalité de la deuxième étape de son raisonnement est impressionnante. Cette radicalité est rigoureusement incompatible avec les « valeurs fondatrices de la République », contrairement à ce que suggère le MENJS.

Prenons d’abord un individu. Weil va montrer que toutes les interdictions qui consistent à évacuer les possibilités nuisibles pour cet individu ne restreignent aucunement la liberté de cet individu. C’est même la raison pour laquelle, spontanément, un individu qui délibère ne considère pas les possibilités qui lui nuisent (« les possibilités interdites ne se présentent pas à leur pensée et n’ont pas à être repoussées », l. 21-22). Pour comprendre cela, il est utile de sa placer avant d’avoir « incorporé » ces interdictions, c’est-à-dire avant d’avoir compris l’utilité de ces interdictions. Avant, on peut penser que l’interdiction est liberticide. Ainsi, l’enfant à qui l’on interdit de manger un cactus ou de boire de l’eau de javel pense être privé d’une liberté fondamentale : celle de manger et boire ce que bon lui semble. Ses parents sont avisés de lui interdire (par tous les moyens) de croquer la plante piquante ou de boire le produit chimique, car une telle consommation est objectivement dangereuse. L’enfant ici criera au scandale dans son langage, revendiquant sa liberté. S’il pouvait, il saisirait les plus hautes instances libérales pour réclamer son droit fondamental à la consommation sans entrave. Mais, on le voit bien, personne ne lui donnera jamais raison. Les parents ici interdisent, sans porter atteinte à la liberté de l’enfant. Ces interdictions sont donc légitimes et pourtant elles sont ressenties comme des privations douloureuses. [16] D’où la figure importante qui apparaît ici : l’humain puéril (ou de mauvaise volonté) qui refuse de reconnaître l’utilité manifeste d’une interdiction bien fondée. L’humain puéril (possiblement adulte pour l’âge du corps, naturellement) comme figure de non-liberté, c’est la conséquence énoncée l. 26-27. L’humain puéril ne connaît rien de la liberté alors même qu’il ou elle l’appelle de ses vœux et crie son désir de liberté. C’est la première contre-figure de la liberté.
L’argument implicite de du §4 est généralisé (non sans difficulté) dans le §6. Il est donc utile de l’expliciter très clairement. On peut lui donner la forme d’une réduction à l’absurde de la puérilité :

  • Supposons que l’humain puéril a raison de crier "liberté !" contre toutes les interdictions.
  • Alors, on doit laisser un enfant mourir si le désir lui prend de manger un cactus ou de boire de l’eau de javel.
  • Le fait de ne pas mourir est pourtant clairement une condition de possibilité de la liberté.
  • Ainsi, la liberté de l’humain puéril se réfute elle-même, en niant ses conditions de possibilités.
  • Par conséquent, il existe des interdictions (par exemple alimentaires) qui ne sont pas des limites à la liberté.

On voit que l’efficace de cet argument consiste à reconnaître que se nuire à soi-même n’est pas une option. On reconnaît ici la situation proverbiale du scieur assis et étourdi. La branche du §4, c’est l’intégrité physique du corps. Le scieur n’est pas libre, tout en croyant l’être.

La deuxième étape va consister, selon la même logique, à exclure du champ des possibilités pour l’individu les options qui consistent à nuire à la communauté à laquelle l’individu appartient. Le raisonnement est le même, mais il implique une plus longue chaîne de conséquence. De la même manière que je peux exclure les possibilités qui ont pour effet de détruire mon propre corps car la destruction de mon propre corps détruit en même temps une condition de possibilité de ma liberté, je vais pouvoir exclure les possibilités qui ont pour effet de détruire la communauté à laquelle j’appartiens. En effet, ma vie est conditionnée par la vie de ma communauté. Ainsi, en détruisant ma communauté, je détruis ma vie. Par conséquent, je suis dans la même position que le scieur proverbial. Avec cette réserve que je suis en train de scier une branche plus lointaine de mon siège, et qui contient les branches sur lesquelles sont assis des autres membres de ma communauté. Mais le résultat est rigoureusement le même pour moi si j’arrive à mes fins, ce que tout le monde concevra clairement.
On voit donc que la solidarité des membres d’une communauté est présupposée par Weil. [17] En ce sens, on peut dire que la communauté des corps est par définition une communauté de destin, selon Weil. Sans doute pourra-t-on demander des nuances ici, voire tenter de bloquer l’argument de Weil à cet endroit. Qu’on ne se trompe pas, cependant. L’interprétation que Weil propose de cette solidarité est très minimale, empiriquement fondée et donc difficile à contredire. Il s’agit de remarquer qu’il n’y a pas de survie, pour ainsi dire, en général, en dehors d’une communauté. La vie d’un individu est conditionnée par l’existence d’une communauté. Par "vie" ici, il faut entendre la vie du début jusqu’à la fin. Il est certain en effet qu’un bébé livré à lui-même mourrait. [18] S’opposer à Weil sur ce point consisterait à soutenir (contre l’évidence sensible) que l’humain se fait tout seul, indépendamment de toute communauté. Cette thèse individualiste est rigoureusement incompatible avec la pensée de Weil. On en trouvera des exposés un peu partout dans la tradition, mais dans le contexte politique, c’est naturellement le libéralisme classique qui réactive cette idée de l’humain créateur de lui-même. Ici encore, dans la mesure où les « valeurs de la républiques » sont des valeurs issues du libéralisme classique, alors la pensée de Weil est incompatible avec ces valeurs.
L’argument de Weil est une généralisation du précédent, et elle introduit une nouvelle contre-figure de la liberté, analogue de l’humain puéril par rapport à l’utilité commune : celui ou celle qui revendique la liberté de nuire à sa communauté. C’est la figure de l’« irresponsable » ou de l’« indifférent » (l. 31-32). Contrairement au cas de la fausse liberté individuelle, la fausse liberté collective est dénoncée ici en faisant appel à un argument disjonctif très intéressant, car il permet d’expliquer au passage un phénomène profond de la vie sociale.
Considérons des individus dans une communauté où les règles sont telles qu’elles n’interdisent pas systématiquement les possibilités nuisibles pour la communauté (où « les possibilités de choix sont larges au point de nuire à l’utilité commune » l.30-31). Les individus de cette communauté auront donc la possibilité de faire des choix nuisibles pour la communauté. Face à cette possibilité, il y a deux attitudes :

  1. Les individus trouvent refuge dans l’irresponsabilité (l’indifférence ou la puérilité) et se moquent donc de nuire à autrui.
  2. Les individus refusent l’irresponsabilité (l’indifférence ou la puérilité) et il craignent donc de nuire à autrui.

Dans le cas 1., l’exercice de la liberté aura pour conséquence l’ennui. Dans le cas 2., l’exercice de la liberté aura pour conséquence d’être accablé par la responsabilité (l. 33-34). L’argument disjonctif suit : dans les deux cas, l’exercice de la liberté est associé à une émotion négative. Par conséquent, les individus d’une telle communauté « en arrivent à penser que la liberté n’est pas un bien » (l. 36), c’est-à-dire méprisent la liberté et par suite ne se battent plus pour leur liberté.
Prenons un exemple pour apprécier l’argument de Weil. Pour prendre un exemple, il faut spécifier l’extension du terme "communauté". Prenons comme exemple la possibilité d’acheter des biens de consommation et comme extension pour la "communauté" l’ensemble des individus qui concourent à fabriquer, distribuer et acheter le bien de consommation. Une société comme la notre est très clairement une société dans laquelle « les possibilités de choix sont larges au point de nuire à l’utilité commune ». En effet, il est possible d’acheter des biens de consommation qui ont été fabriqués dans des conditions qui nuisent très objectivement à la vie des fabricants. Par exemple, il est de notoriété publique que des chaussures vendues dans les magasins français sont fabriquées par des enfants dans des pays asiatiques dans des conditions impossible à soutenir. Le consommateur français est donc réduit à l’alternative proposée par Weil :

  1. soit je considère que le bien-être de ces enfants (une partie de l’utilité de la communauté) ne me concerne pas : c’est l’irresponsabilité.
  2. soit je considère de le bien-être de ces enfants me concerne.

Dans le cas 1., je suis un consommateur irresponsable et ma liberté est toute entière dans la consommation : ma vie est donc ennuyeuse (et la publicité le sait si bien qu’il faut qu’elle rende inlassablement ce type de consommation artificiellement désirable). Dans le cas 2., tous mes choix de consommation sont dictés par la crainte de nuire à autrui. Dans un système capitaliste mondialisé, où les biens marchants incluent inéluctablement du malheur à un endroit ou un autre de la chaîne de production, de distribution et de consommation, ma sphère de responsabilité est effectivement très accablante. [19] Dans les deux cas, les possibilités qui sont devant moi me rendent malheureux. J’en viens à penser que c’est cette liberté qui me rend malheureux. Et je ne cherche plus à la défendre, je m’en écarte au contraire. J’ai alors perdu le goût de la liberté, soit par irresponsabilité, soit par accablement. Une communauté qui ne contiendrait que des irresponsables et des accablé.es ne défendra plus la liberté. [20]
Le sophisme de ces personnages est du même ordre que celui de l’humain puéril : ils se trompent sur ce qu’est la liberté. Car la liberté ne croît pas avec le nombre des possibilités de choix nuisibles pour la communauté, de même qu’elle ne croît pas avec le nombre des possibilités de choix nuisibles pour nous-mêmes. Ces personnages sont puérils non au sens où ils ne sont pas adultes et peuvent se nuire à eux-mêmes directement, mais au sens où ils se situent en deçà de la civilité requise en société et peuvent par là nuire à la communauté qui les font vivre.

Le résultat de ce texte est donc que l’individu n’est réellement libre que dans la mesure où il choisit de ne pas nuire à la communauté à laquelle il appartient (et donc à lui-même en tant que membre de sa communauté). En corollaire, une communauté n’est réellement libre que dans la mesure où elle interdit les possibilités qui consistent à se nuire à elle-même par l’intermédiaire de ses membres.
Ce résultat est indépendant du choix théorique concernant l’extension du concept de communauté. On peut appliquer ce résultat à toutes les extensions possibles du terme : s’agit-il de la famille ? de la communauté nationale ? d’une communauté internationale ? de l’humanité ? En fonction du choix de la taille de la communauté, on comprendra aisément que les interdictions qui vont permettre la liberté de l’individu vont immensément changer. Les interdictions seront les plus drastiques à mesure que la communauté englobe le plus d’individus. Comme l’exemple ci-dessus le montre : dans le système économique mondialisé du capitalisme une communauté politique devrait, si l’on cherchait à émanciper les individus, imposer des restrictions très fortes sur les biens de consommation.
En d’autres termes, la pensée de Simone Weil nous invite à penser une mise en place politique d’une "consommation éthique" généralisée bien plus radicale que celle qui est volontairement pratiquée aujourd’hui par certains membres de la communauté. Il s’agirait d’interdire à la vente les biens de consommation qui auraient un impact social (ou écologique) négatif quelque part dans le monde, sur quelque individu que ce soit. Un système politique qui se refuserait à de telles interdictions serait, selon Weil, liberticide. Par conséquent, notre communauté politique actuelle est liberticide, quel que soit le degré d’optimisme qu’on voudra adopter pour analyser la situation française. Elle est, littéralement, spirituellement criminelle, car notre société affame des âmes en approvisionnant la population avec de la fausse liberté. Dans la mesure où l’on défend les valeurs de la République comme des valeurs qui existent dans la société actuellement, alors Simone Weil refuse ces valeurs, et avec une sévérité rarement égalée.

Ainsi, je crois avoir prouvé assez clairement que Simone Weil se prête assez mal à un exercice de propagande Républicaine. Remarquez que je n’ai en aucun cas prouvé que Simone Weil a raison et que la propagande Républicaine a tort. J’ai simplement montré que ce texte de Simone Weil est incompatible avec les « valeurs fondatrices de la République », ce qui signifie que la présence de ce texte dans le document du MENJS est très problématique en l’état.

 Sur la liberté d’expression

C’est un bon exercice que de se demander ce que Weil aurait eu à dire sur les caricatures qui ont joué un rôle central dans l’assassinat de Samuel Paty. Un exercice tout à fait inutile, si ce n’est d’exercer, justement, sa liberté de penser et d’expression.
On pourra sentir que la liberté de caricaturer serait d’abord jugée comme digne d’un individu puéril ou irresponsable. Pour éviter cette position, il faudrait concevoir que la communauté qui se juge offensée ne fait pas partie de la communauté des caricaturistes. Par exemple en disant que toute personne de confession musulmane ne fait pas partie de la République française. Position défendue par certains. Mais naturellement difficile à défendre car ne correspondant pas à la réalité administrative, selon laquelle il existe bel et bien des citoyens français de plein droit et pratiquant l’Islam. Cette position a l’avantage de la cohérence, mais elle souffre d’une sophistication qui la conduit à distinguer les français et les français, ce qui, tout le monde le verra, conduira à l’incohérence d’un autre côté.
Une autre manière d’éviter la puérilité, pour une caricature, serait de remarquer que nous ne vivons manifestement pas dans l’État libre envisagé par Weil, et que par conséquent l’oppression est bien réelle. Lorsqu’une autorité opprime illégitimement un individu, le « plus indispensable de ses devoirs » est de tout faire pour se défaire de cette oppression. [21] La caricature, donc, comme résistance à l’oppression. Mais alors, si l’on voulait appliquer cette idée aux caricatures de Charlie Hebdo, il faudrait montrer que l’Islam en France représente une autorité oppressive réelle. Position défendue par certains autres. Il me semble cependant que quelle que soit la menace qu’on souhaiterait associer à la figure de Mahomet (puisque c’est lui qui est caricaturé), on ne pourrait pas la qualifier d’autorité oppressive de la communauté française. L’Islam en France est, selon tous les critères mesurables, une religion très minoritaire qui n’exerce aucune autorité oppressive sur la population française, tout ou partie. Toute portion de l’Islam serait encore moins candidate au qualificatif d’autorité oppressive. Il semble donc que qualifier les caricatures dont il est question de résistance à l’oppression serait une erreur.
Il reste naturellement la possibilité que ces caricatures soient un discours politique comme un autre et non une métonymie pour un ensemble de libertés fondamentales qu’on voudrait appeler les « valeurs fondatrices de la République ». Ce qui, dans la perspective proposée par Simone Weil, ne comporte aucune difficulté.

Pour aller plus loin sur l’analyse des caricatures, on trouvera des arguments similaires et bien mieux développés dans la Lettre aux professeurs d’histoire-géographie. Ou comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression de François Héran publiée le 30 octobre 2020 sur le site La vie des idées (c’est-à-dire à peu près en même temps que fut diffusé le document du MENJS). Cette lettre s’est ensuite développée (pour ne plus s’adresser qu’aux seuls professeurs d’histoire-géographie) et a fait l’objet d’une publication récente qui s’intitule Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression. Et si cela pouvait vous donner envie d’aller voir la leçon inaugurale de François Héran élu sur la chaire "Migrations et sociétés" du Collège de France, j’estime que cet article aura été utile à la communauté.

P.-S.

Un an plus tard, le document est republié à l’identique quant au contenu, mais avec une mise en page nettement plus "user-friendly" ! Cf. https://eduscol.education.fr/document/11978/download

Notes

[1Wikipedia est, selon Patrick Boucheron, un « thermomètre du temps présent ».

[3L’auteurice du commentaire de Simone Weil pourra me contacter pour m’expliquer ce que je n’ai pas compris, avec bienveillance, naturellement. Pour m’écrire, il suffira de cliquer sur mon nom en haut à gauche de cet article.

[4Pour des travaux de connaisseurs sur la question, on pourra consulter le colloque filmé organisé par Alain Supiot au collège de France les 12-13 juin 2017 intitulé Mondialisation vs Globalisation : les leçons de Simone Weil. La dernière partie de ce colloque intitulé "La Personne et le Droit" développe bien plus précisément que je ne saurais le faire la critique que Weil a faite de la notion de droit, au sens des libertés fondamentales inscrites dans des textes légaux et constitutionnels.

[5C’est la première phrase de l’ouvrage.

[6Pour le contexte historique rappelé dans le commentaire du MENJS, il est vrai que « L’ouvrage répondait à une commande du général De Gaulle qui souhaitait pouvoir bénéficier d’un rapport préliminaire à la reconstruction morale de la France. » Cependant, il faut ajouter que le général a fait cette commande pour occuper Weil qui le dérangeait passablement à Londres avec des discussions politiques fondamentales et qui ne pouvait, du fait de son état de santé, être débarquée en France pour des opérations de résistance sur le terrain. Naturellement, le général fut en total désaccord avec l’esprit du texte de Weil. Il n’en fit d’ailleurs pas le moindre cas et considéra vraisemblablement ses idées radicales anti-DDHC comme totalement farfelues.

[7Il y a bien des figures de mort-vivants dans les différentes cultures et ce n’est pas évident de déterminer à quel type de mort-vivants pense Weil ici, dans la mesure où son évocation est à la fois provocante et non développée. Sans doute faudrait-il plutôt penser aux zombies haïtiens qu’aux zombies philosophiques étant donné la portée pratique du texte de Weil.

[8Il est clair par ailleurs que je n’ai pas choisi d’avoir tant de compatriotes sur ma route.

[9Ce serait ici un contresens d’entendre par « règle » un outil de la méthode, au sens cartésien du terme, par exemple.

[10Formellement, et intuitivement, une interdiction est une obligation de ne pas faire ; une obligation est formellement équivalente à une interdiction de ne pas faire (i.e. une obligation de ne pas ne pas faire), mais c’est moins intuitif.

[11De manière duale, il serait tout aussi absurde de rendre la respiration obligatoire. Mais cette seconde absurdité est sans doute moins dramatique et effrayante que la première, d’où l’effet comique.

[12Il resterait néanmoins l’interdiction de s’engager dans une voie de gauche, comme par exemple il est interdit (et donc possible) d’entrer dans une autoroute en sens inverse.

[13Pour une discussion formelle de la place du consensus dans la définition pratique de l’utilité commune, on consultera avec profit le premier livre du philosophe américain David K. Lewis Convention. A philosophical study., publié en 1969 chez Harvard University Press (demeuré non traduit à ma connaissance). L’exemple pris ici fait partie des "problèmes de coordination" discutés dans le premier chapitre reproduit ici.

[14J’utilise dorénavant le terme "interdiction" comme une métonymie pour parler des règles, comme indiqué plus haut.

[15De la même façon, on le verra plus bas, avoir beaucoup de mauvaises possibilités de choix, ce n’est pas être libre.

[16Et c’est sans doute une tâche difficile des éducateurs.trices que d’interdire (provoquer la douleur) sans faillir, et sans exagérer. C’est, selon Weil, la base d’une éducation émancipatrice (visant à la liberté de l’enfant) puisque ces interdictions-là sont des conditions de possibilité de la liberté tandis que ces interdictions-ci sont liberticides.

[17C’est d’ailleurs l’un des thèmes majeurs de l’Enracinement en général.

[18Il y a le cas troublant des bébés adoptés par des animaux, mais on retrouve une forme de communauté (non-humaine) dans ces cas-là aussi.

[19On peut donc ici objecter à Weil la possibilité d’un capitalisme vertueux. Cette possibilité est naturellement écartée par les analyses de Marx sur lesquelles est construit cet exemple et la très profonde réflexion de Weil sur le travail. Encore un endroit où l’on peut comprendre pourquoi l’œuvre de Weil est incompatible avec les « valeurs de la République » : c’est qu’elle est marxiste.

[20Les deux figures de l’irresponsable et de l’accablé.e sont les figures des sociétés excessives en possibilités, typiques de la modernité économique. On peut aussi évoquer le contexte historique de la rédaction de l’Enracinement. Simone Weil réfléchit aux raisons profondes de la collaboration française avec l’Allemagne nazie, c’est-à-dire les raisons profondes pour lesquelles le peuple français a perdu le goût de la liberté. La preuve de cette perte de goût est donné par l’observation empirique du si faible nombre de résistant.es en 1942 (les résistant.es sont celles et ceux qui reconnaissent que la liberté est effectivement une nourriture indispensable à l’humain).

[21L’expression est tirée de l’article 35 de la constitution de 1793, une autre tentative de remplacer la DDHC. On remarquera l’utilisation de cette notion de devoir que Weil voudrait voir remplacer la notion de droit.

Vos commentaires

  • Le 4 avril à 11:27, par LO En réponse à : Simone Weil contre les valeurs de la République

    Bonjour,

    Je trouve votre commentaire du texte de S. Weil très contestable sur de nombreux points. Sans entrer dans le détail de votre argumentation (le passage sur la nourriture de l’âme, par exemple, me semble surprenant car, contrairement à ce que vous dites, c’est un thème tout à fait classique), je ne considérerai que ce qui me semble le plus important. Tout d’abord, lorsque Weil "oppose" les "devoirs envers les humains" aux "droits de l’Homme", je ne suis pas sûr que son propos ait la signification que vous lui donnez ; à mon sens, son but est de souligner la primauté conceptuelle du devoir sur le droit. Droits et devoirs sont en fait réciproques (si j’ai un droit, les autres ont le devoir de le respecter ; si j’ai un devoir, les autres sont en droit d’exiger que je m’en acquitte) ; pourtant, je peux dire aussi que c’est parce que j’ai d’abord des devoirs que j’ai des droits, et non parce que j’ai des droits que j’ai des devoirs. En effet, mes devoirs ne peuvent venir des droits (des autres), car c’est librement qu’un sujet moral se donne des devoirs. De ce point de vue, même si sa formulation est quelque peu différente, Weil ne fait que réaffirmer le principe classique de l’autonomie du sujet moral (qui est bien un principe républicain). Il n’est pas anodin qu’elle parle des "hommes de bonne volonté", même si elle n’entend probablement pas l’expression "bonne volonté" au sens strictement kantien. Et de ce point de vue, encore, les "droits de l’Homme" auraient aussi bien pu être nommés les "devoirs de l’Homme", sans rien changer à leur contenu. Car ils sont bien les droits que les Hommes ont le devoir moral de respecter. Opposer les droits de l’Homme aux devoirs de l’Homme, comme si les uns se substituaient aux autres, est une absurdité, et par charité (au sens du "principe des charité" des logiciens) je préfère penser que Weil n’est pas tombée dans cette absurdité.

    Cordialement.

  • Le 17 avril à 17:52, par Louis Rouillé En réponse à : Simone Weil contre les valeurs de la République

    Dans L’Enracinement, Simone Weil ouvre son propos par une critique radicale des droits de l’homme, et des contradictions dans lesquelles sont tombés les révolutionnaires de 1789 du fait qu’ils ont pris la notion de droit comme fondamentale. À la lumière de ce premier chapitre, je ne crois pas que Weil serait d’accord pour dire qu’on pourrait réécrire la DDHC en substituant la notion de devoir à celle de droit (et en ajustant). C’était dans cet esprit qu’allait mon commentaire.
    Merci pour votre intérêt critique et votre commentaire.
    Louis Rouillé

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