Le fossile « Little foot », un pied dans le berceau de l’humanité - Philosophie - Espace pédagogique académique

Le fossile « Little foot », un pied dans le berceau de l’humanité

« Little Foot » est âgé de 3,67 millions d’années. La nouvelle datation de cet hominidé, avancée dans la revue Nature jeudi 2 avril, relance l’Afrique du Sud dans la course aux australopithèques les plus anciens. Et constitue un nouvel épisode de la saga scientifique entourant ce fossile hors du commun, l’un des plus complets, avec 90 % du squelette retrouvé, mais qui reste méconnu car sa description scientifique détaillée n’a pas encore été publiée.

Article du Monde, par Hervé Morin le 01/04/2015.

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Le crâne de "Little big foot"

Little Foot, alias StW 573, rattaché à l’espèce Australopithecus prometheus, a en effet été découvert dans des conditions improbables : en septembre 1994, Ron Clarke (université de Witwatersrand, Johannesbourg) trouve, dans des caisses d’ossements classés comme « animaux », quatre os qu’il attribue à un pied gauche d’hominidé. Son mentor, Philippe Tobias (1925-2012), le baptisera « Petit pied ». Trois ans plus tard, nouvelle trouvaille dans des boîtes en provenance du même site, la grotte de Silberberg à Sterkfontein, dans le nord du pays : plusieurs os de pied et un fragment de tibia droit sont attribués au même individu par Ron Clarke. Il envoie ses assistants dans cette grande caverne, où ils ont la chance extraordinaire de retrouver ce qui ressemble au reste du squelette pétrifié.

 Accumulation des sédiments

Pris dans une gangue de roche, les ossements ne seront dégagés de la cavité qu’en 2010, mais il reste encore du travail avant qu’ils soient totalement débarrassés des sédiments calcifiés qui les recouvrent. Cette exhumation au long cours s’est accompagnée de plusieurs tentatives de datation, successivement remises en question.

« En Afrique de l’Est, les datations sont relativement aisées, car il y a eu fréquemment des retombées volcaniques qui ponctuent la stratification, explique Laurent Bruxelles (Institut national de recherches en archéologie préventive, CNRS), qui cosigne l’article de Nature. Mais en Afrique du Sud, c’est plus difficile, car les fossiles se trouvent dans des grottes, où l’accumulation des sédiments est parfois complexe à interpréter. »

Little Foot en offre un exemple parfait : cet hominidé a probablement trouvé la mort en faisant une chute de trente mètres dans une des nombreuses grottes de Sterkfontein. Il a rapidement été recouvert par des cailloux, qui ont maintenu le squelette en place – un cas de figure exceptionnel. Puis l’érosion, les infiltrations et les coulées stalagmitiques l’ont enseveli dans un complexe tombeau rocheux.

Qu’on en juge : une première datation faisant appel au paléomagnétisme en 1997 lui donne 3,3 millions d’années. Ensuite, Darryl Granger (université Purdue, Indiana) propose une date de 4 millions d’années en 2003, considérée par beaucoup comme trop ancienne. Puis en 2006, le rapport uranium/plomb de coulées stalagmitiques donne 2,2 millions d’années.

« Cela remettait en question la place de ce fossile dans l’histoire humaine », raconte Laurent Bruxelles. C’est alors que Ron Clarke, qui ne croit pas au verdict des dernières datations, fait appel au géo-archéologue français. « Avant d’aller en Afrique du Sud, connaissant bien les grottes karstiques en France, j’étais assez confiant, se souvient l’intéressé. Mais sitôt arrivé, j’ai compris que j’en avais pour dix ans, car cette grotte est très compliquée. »

 Datation cosmogénique

Il lui aura fallu un peu moins de temps pour reconstituer l’histoire géologique de la cavité, et s’apercevoir que des variations dans le climat avaient pu entraîner des formations de calcites, puis leur dissolution, avant qu’un revirement climatique ne favorise l’accumulation de stalactites, « qui ont rebouché les trous créés ». Armée de cette nouvelle stratigraphie, l’équipe eut la certitude que Little Foot avait plus de trois millions d’années, ce qu’elle a annoncé en 2014.

Dans la grotte Silberberg à Sterfontein

Dans la grotte Silberberg à Sterkfontein (Afrique du Sud), où le fossile "Little Foot" a été découvert par Stephen Motsumi (à gauche) à l’instigation de Ron Clarke (à droite). Laurent Bruxelles (Inrap) a contribué à déterminer la stratigraphie du site.

Restait à le confirmer, en soumettant des fragments de quartz à la question, avec la technique de datation cosmogénique de Granger, améliorée par Marc Caffee, lui aussi de l’université Purdue. Le terme cosmogénique signifie que cette méthode s’appuie sur l’analyse de roches comme le quartz qui, bombardées par des rayons cosmiques lorsqu’elles affleurent à la surface de la terre, se chargent en isotopes radioactifs, notamment l’aluminium 26 et le béryllium 10. Une fois enfouies, elles se « déchargent », selon une période qui est différente pour chaque isotope. En comparant les concentrations de ces isotopes, on peut déduire le moment où ils n’ont plus été exposés aux rayons cosmiques.

 Plus vieux que Lucy

Il suffisait donc de choisir des cailloux qui avaient chuté dans la grotte avec « Little Foot » pour dater sa mort. Ils indiquent qu’avec 3,67 millions d’années (+ ou - 160 000 ans), le fossile était contemporain des premiers Australopithecus afarensis alors présents en Afrique de l’Est (Tanzanie et Ethiopie), dont fait aussi partie la célèbre Lucy, un peu plus jeune (3,2 millions d’années). Sur le plan morphologique, Little Foot est différent, avec son visage plat et allongé et ses dents jugales (molaires et prémolaires) bombées. « Cela soulève d’intéressantes questions sur la diversité des premiers hominidés et leurs relations phylogénétiques [les liens de parenté évolutifs] », concluent les signataires, sibyllins.

Cette nouvelle datation, c’est un peu la revanche de Ron Clarke, car « Little Foot » est désormais suffisamment vieux pour rejouer dans la cour des « grands anciens », si ce n’est postuler au rang d’ancêtre des premiers « Homo », dont on vient de découvrir une mâchoire en Ethiopie, vieille de 2,8 millions d’années.

 Little Foot n’est pas l’ancêtre du genre humain

Si « Little Foot » se trouve au cœur du « Berceau de l’humanité », une dénomination attribuée par l’Unesco à la région fossilifère de Sterkfontein, Pascal Picq doute que « Little Foot » ait joué ce rôle, car « il est trop australopithèque pour cela ». Mais le paléoanthropologue ne cache pas sa perplexité face aux dernières découvertes : « On a de plus en plus de fossiles et, paradoxalement, on voit de mieux en mieux les trous dans leur parenté. » Comme si, tant en Afrique de l’Est qu’en Afrique du Sud, le tableau des australopithèques se complexifiait de façon parallèle, « sans que le passage au genre Homo se clarifie ».

Pour le paléontologue français Yves Coppens aussi, « Little Foot » ne peut prétendre être l’ancêtre du genre humain. « Les premiers pré-humains, rappelle-t-il, ce sont Toumaï au Tchad, à 7 millions d’années, Orrorin, au Kenya à 6 millions d’années. » Parmi les divers australopithèques apparus ensuite, c’est l’assèchement du climat, vers 4 millions d’années, qui a selon lui décidé du destin de ces lignées, avec un sort un peu similaire à l’Est et au Sud, où des formes plus robustes, aux grosses dents adaptées aux graminées, et toujours dotées de petits cerveaux, sont apparues. « Mais en Afrique de l’Est, il y a aussi l’émergence du genre Homo, avec des dents plus petites de carnivore, et un plus grand cerveau », souligne-t-il. Pour autant, la datation absolue de Little Foot lui semble une avancée notable : « On va pouvoir faire des corrélations de grande valeur avec d’autres régions, qu’on attend depuis longtemps. »

« A chaque fois qu’on évoque le berceau de l’humanité, on force un peu la mise. Tout le monde veut avoir découvert son ancêtre, c’est humain », indique Yves Coppens. Pour lui, même si l’Afrique de l’Est tient la corde, c’est toute la région africaine touchée par ce changement climatique qui est susceptible de mériter cette dénomination.

Pour le géoarchéologue Laurent Bruxelles aussi, la notion de « berceau de l’humanité » ne doit pas être prise au pied de la lettre. « C’est plutôt une large zone en Afrique où les fossiles ont pu être conservés par la géologie. » Lui-même prépare une expédition en Namibie, où il espère bien découvrir d’autres ancêtres putatifs.

Hervé Morin
Pôle Science et Médecine du Monde.

Voir en ligne : Paléontologie : une mandibule africaine vieillit le genre humain de 400 000 ans