Un rapport du Conseil de l’Europe s'inquiète « du recul de la tolérance » en France - Philosophie - Espace pédagogique académique

Un rapport du Conseil de l’Europe s’inquiète « du recul de la tolérance » en France

Article du Monde publié le 17.02.2015 à 10h55 par Maryline Baumard.

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Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’avait pas imaginé les attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Ni le cortège d’actes islamophobes ou antisémites qui s’enchaînent depuis. Pourtant, le rapport sur la France que Nils Muiznieks avait déjà finalisé à la veille de ces événements, et qu’il rend public mardi 17 février, voulait montrer une France déjà vacillante sur ses valeurs.

« Le commissaire s’inquiète du recul de la tolérance et du nombre élevé d’agressions verbales et de démonstrations injurieuses à caractère haineux ou discriminatoire recensées en France », pose la toute première phrase de ses 52 pages. Il déplore également, dès le paragraphe suivant, « qu’aux discours s’ajoutent des actes haineux, qu’ils soient racistes, xénophobes, antimusulmans ou homophobes ». Ce que la France vit depuis janvier donne raison à son constat d’« un inquiétant effritement de la cohésion sociale et du principe d’égalité ». En effet, si « l’antisémitisme et l’islamophobie sont très graves dans tous les pays, ils le sont plus encore en France parce que les juifs et les musulmans y sont largement représentés  », a-t-il expliqué au Monde. A ses yeux, la riposte est donc urgente.
« Réagir avec vigueur  », voilà la recommandation première faite par le représentant de l’Europe à « ce pays qui pourrait bien mieux faire », comme le rappelle M. Muiznieks. Ce dernier estime en effet qu’« un plan national d’action sur les droits de l’homme  » est nécessaire, « plutôt qu’une série de mesures indépendantes ». Optimiste, il compte sur la mobilisation nationale contre le racisme qui doit être prochainement annoncée par François Hollande. « Une cause nationale permet de faire avancer des sujets. Espérons que les groupes victimes de discriminations seront au cœur de la réflexion », ajoute-t-il. Interrogé par Le Monde sur l’usage du terme « apartheid » par le premier ministre Manuel Valls, il estime qu’il s’agit d’un premier pas, parce que cela illustre la volonté d’un électrochoc.
Dans la France de 2015 où les citoyens ne sont plus égaux, la prise de conscience est urgente. Lorsque le commissaire a fait sa visite, en septembre 2014, il a été « choqué » par la présence dans les rues de Paris de nombreux très jeunes migrants afghans sans abri, comme par la non-scolarisation régulière d’une vingtaine d’enfants roms dans un camp qu’il a visité à Marseille. « Et alors que les familles étaient installées là depuis des années », ajoute-t-il. « La France peut mieux faire en matière de scolarisation des enfants roms comme en matière d’évacuation des camps  ». Au passage, d’ailleurs, il « prie les autorités de mettre un terme sans délai aux évacuations forcées » qui se sont égrenées toute l’année 2014 à raison d’une tous les trois jours.
L’accueil de réfugiés syriens lui semble aussi une injure faite à cette immense catastrophe humanitaire. « La France en recevra 500 en 2015, comme en 2014, quand l’Allemagne en a accepté 10 000 l’an dernier  », dit-il, laissant parler les chiffres. Dans le même registre, il se dit «  très préoccupé  » par les 2 300 migrants stationnés à Calais et rappelle que la situation « ne peut être résolue par les seules mesures sécuritaires ».
Et ce n’est pas tout. A ses yeux, « la France a aussi un problème avec ses handicapés ». « Est-il normal que des milliers de handicapés adultes quittent leur pays pour rejoindre la Belgique parce qu’ils ne trouvent pas de solution de vie [des lieux adaptés] ? », interroge M. Muiznieks, étonné que le traitement du handicap ne soit jamais abordé dans l’Hexagone en termes de droits de l’homme.

La France moins bonne élève

Derrière tous ces manquements, le diplômé en sciences politiques de l’université américaine de Berkeley (Etats-Unis) pointe la responsabilité de la classe politique. « Certains membres de la communauté politique tiennent des discours haineux et contribuent ainsi à la banalisation de tels propos. Leur langage donne un signal à la police, aux fonctionnaires en général mais aussi au citoyen », martèle-t-il, avant d’inviter « les représentants de l’Etat et de la classe politique à tenir un discours fort et clair, qui non seulement rejette le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination, mais aussi valorise le principe d’égalité et le respect des différences ».
Il est bien loin le rapport précédent, publié en 2006, qui s’ouvrait sur le constat que « beaucoup d’Européens voient la France comme le pays des droits de l’homme et qu’effectivement la France offre un haut niveau de protection ». La France a changé et est moins bonne élève que nombre des pays européens comparables. Une plongée dans les rapports publiés récemment par Nils Muiznieks montre que l’homme n’est pas coutumier des discours alarmistes. En 2013, il remettait un rapport à l’Espagne, critiquant son système de garde à vue et le comportement des policiers lors des manifestations ; en mai 2014, son rapport sur les Pays-Bas insistait surtout sur le droit des immigrés et des enfants, un peu oubliés. Et quelques mois auparavant, son travail sur le Danemark pointait les faiblesses de l’accueil des migrants et des demandeurs d’asile, mais félicitait le pays pour avoir su aider ses policiers à limiter les discriminations. A chaque fois, des critiques certes, mais plus mesurées.
Pourtant, Nils Muiznieks estime que le pays qui a vu naître les droits de l’homme est armé pour réagir. Contrairement à d’autres, « la France est remarquablement outillée. Sur le plan des structures comme en matière législative, elle dispose de bien plus d’outils que la plupart de ses voisins. Par ailleurs, elle compte un maillage associatif qui fait un travail exceptionnel  », observe l’universitaire letton. Une vraie note d’espoir !

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