François Jourde : avec les TICE, « j’improvise beaucoup, je n’ai pas peur des crash-tests » - Philosophie - Espace pédagogique académique

François Jourde : avec les TICE, « j’improvise beaucoup, je n’ai pas peur des crash-tests »

Cartes heuristiques, Facebook, Twitter, smartphones... Pour François Jourde, professeur de philosophie, tous les outils numériques sont bons pour faire cours. Il nous explique pourquoi les TICE lui tiennent tant à coeur.

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François Jourde est professeur de philosophie. Après avoir travaillé en lycée près de Lille, il enseigne aujourd’hui à l’école européenne Bruxelles 1, dans les deux dernières années du secondaire. Beaucoup de ses cours reposent sur les nouvelles technologies : il nous explique ce qui le motive.

Pour faire cours, vous utilisez toutes les ressources numériques à votre disposition : Facebook, Twitter, les montages vidéo, les smartphones, Google Docs… Pourquoi cette volonté d’innover à tout prix ?

Utiliser les médias sociaux et d’autres outils numériques, ça reste surtout pour moi un moyen de m’amuser : j’adore mon métier, mais j’ai aussi envie de me faire plaisir. Et en même temps, ça me permet de mettre les élèves au travail. Par exemple, 2-3 élèves qui ne prenaient pas de notes en cours, avec lesquels j’avais des relations de petit chef, se sont mis au boulot quand j’ai expérimenté la prise de notes avec des smartphones. « Qu’importe le flacon… »

Et puis il s’agit de compétences transversales qui ne sont pas très enseignées. Je suis très content quand je vois les élèves utiliser ce qu’ils ont appris avec moi dans d’autres matières. Pour moi, les digital natives de la nouvelle génération sont un peu « ploucs » : il ont un usage « provincial » des outils numériques, dans la mesure où ils se limitent souvent à un ou deux sites qu’ils connaissent bien, comme Facebook. Et ils ont surtout un usage récréatif de leurs smartphones. Je pense que les profs ont une obligation de guider les élèves vers un usage réfléchi et scolaire de ces outils.

Mais quand j’en parle, j’explique que c’est surtout ma manière à moi de fonctionner, mon idiosyncrasie. Les bons profs auront toujours de bons résultats, quelle que soit leur méthode. Ce que j’obtiens avec le numérique, d’autres l’auront avec le jeu par exemple… Le talent pédagogique n’est pas dans l’outil. L’efficacité de la relation pédagogique tient plutôt à une parole, une présence qu’on a ou pas avec les élèves, et dans le fait de faire des choses intéressantes.
Sites et ressources

Dans quelle mesure réutilisez-vous vos expérimentations ? Tous vos projets basés sur les TICE fonctionnent-ils ?

J’essaie beaucoup de choses, je n’ai pas peur des crash-tests. Je me plante encore parfois, mais avec l’expérience je peux pressentir ce qui va marcher. Toutefois, toutes les classes ne réagissent pas de la même façon. Je pense notamment à la prise de notes via Twitter : ça prend dans certaines classes et dans d’autres, pas du tout.

Il y a eu de nombreux one shots : les fakebooks (faux profils Facebook de philosophes), les films de Bollywood sous-titrés avec des maximes philosophiques… J’aime les activités de déplacement, de changement de registre, elles conviennent bien aux révisions. Quand on joue avec la forme, on voit vite si les élèves ont compris ou pas, s’ils sont capables de prendre de la distance par rapport au texte original sans répéter comme des perroquets. Et le numérique facilite beaucoup ces expériences : pour les films « Bollywood » par exemple, les sous-titres ont été créés en moins de deux heures.

J’improvise beaucoup. Souvent, c’est l’outil qui m’inspire : il y a une nouvelle possibilité technique, alors essayons ! Ce qui prend, je le poursuis, je le fais plus régulièrement. Par exemple, ce que je fais durablement, c’est la prise de notes numérique et coopérative par les élèves. J’ai commencé à le faire il y a 3 ans environ, et j’ai mes marques depuis un an et demi.

En quoi consiste la prise de notes numérique ?

A chaque cours, un élève est nommé secrétaire de séance. Ils y passent tous à tour de rôle. Après que j’ai validé leur travail, j’agrège les prises de notes individuelles dans un document public. Les autres élèves prennent bien sûr des notes en parallèle pendant les cours, mais ça les rassure d’avoir un document de révision en fin de semestre ou d’année, pour les examens. Et c’est un document enrichi, qui peut comporter des liens ou des images.

Mais avant d’intégrer chaque compte-rendu de cours dans ce document, je passe 2-3 semaines à échanger en privé avec l’élève, pour corriger et améliorer sa partie. Je fais ça en ligne, dans Google Documents, à l’aide de petits commentaires, comme des post-its. Cela me permet d’avoir des échanges très fins avec eux, sur leur pensée ou leur méthode d’écriture. Ce n’est pas synchrone : je peux faire une remarque et avoir une réponse trois jours plus tard… mais ça permet de nouer une relation individuelle avec l’élève, de travailler à un rythme différent.

J’aime ce mode de fonctionnement. Ce qui me frustre en tant que prof, c’est que les interactions ne sont pas tellement individualisées, car on n’a pas assez de temps. Quand on corrige sur papier, il y a peu d’interactions, et rarement un retour sur le travail après la correction. C’est pourquoi j’ai aussi commandé un tampon « Voyez-vous pourquoi ? », que j’utilise pour accompagner mes remarques sur leurs copies. S’ils le veulent, les élèves peuvent reprendre certains éléments pour avoir jusqu’à 20 % de points en plus. Ils ont pris du temps à faire leurs devoirs, j’ai pris du temps à les corriger, autant que ces efforts ne soient pas perdus.

Est-ce que cela vous prend beaucoup de temps de vous approprier ces outils et de former les élèves à les utiliser ?

Ça me prend du temps, oui, mais il y a aussi un côté hobby. Comme tous les profs geeks, je passe de toute façon du temps sur l’informatique. Mais j’essaie vraiment de choisir des outils dont l’appropriation est facile pour les élèves. Par exemple, pour les cartes de pensée, je ne vais pas utiliser Xmind, mais plutôt MindMeister, un outil à l’interface simple qui reste multifonctionnel : il est collaboratif, il y a des modules de chats, ça permet des débats d’idées dans des salles multipostes…

Il faut bien sûr passer un peu de temps en classe à expliquer l’outil. J’essaie de le faire au début de l’année, et ça ne représente pas un volume horaire monstrueux.

Vous arrive-t-il de faire des cours normaux ?

Si un inspecteur écoute, il faut lui dire que je leur fais aussi faire des disserts toutes les trois semaines ! Comme tous les profs, je fais les exercices académiques – en fait je fais surtout ça, mais j’en parle moins sur mon blog, évidemment. Pour jouer avec la forme, de toute façon, il faut les connaissances académiques.

Vos différentes expérimentations seraient-elles transposables en France ?

Je travaille pour un réseau d’écoles qui scolarisent les enfants de fonctionnaires européens. C’est un environnement international avec un cursus bilingue, très intéressant. Les élèves sont assez connectés – mais pas beaucoup plus que dans la banlieue de Lille où je travaillais auparavant. Ce qui m’a vraiment fait avancer, c’est l’équipement des salles : au moins un ordinateur avec une connexion Internet, un vidéoprojecteur presque dans chaque salle (l’équipement de base, indispensable), et un bon équipement en tableaux numériques. C’est un établissement autonome où il est possible de tout faire changer rapidement, où l’on pourrait installer une plateforme comme Moodle en deux jours si nécessaire.

Je sais que certains collègues français jettent l’éponge car il leur est dur d’obtenir des accès sur les réseaux, etc… Certains font des choses géniales, mais ça leur coûte beaucoup plus d’énergie. Parfois des inspecteurs ont des épiphanies sur l’intérêt du numérique, mais il y a beaucoup de déperdition. Quand je suis allé au CIUEN à Lyon en avril, on m’a dit que j’avais de la chance : beaucoup de collègues souffrent d’être dans des ENT, des environnements de travail fermés où il est difficile de publier à l’extérieur. Moi, j’utilise ce que les élèves utilisent, je peux manipuler tous les outils existants pour les détourner à des fins pédagogiques.

J’ai aussi la chance d’enseigner dans les deux dernières années du secondaire : ce ne serait pas aussi évident au collège. Et dans les écoles européennes, le pro­gramme de phi­lo­so­phie est proche du pro­gramme fran­çais, mais il est étalé sur deux ans et l’épreuve du bac n’est qu’une partie de l’évaluation, grâce au poids du contrôle continu. En France c’est une matière anxiogène, qui ne facilite pas l’assimilation : les élèves bachotent et ne s’imprègnent pas.

Avez-vous des suggestions d’activités qui ne nécessitent pas trop d’équipement ?

Un truc tout bête qui marche vraiment bien, et qui n’est pas cher, si on dispose d’un projecteur : le clavier sans fil. Je m’en étais procuré un pour moi, puis je me suis vite rendu compte que c’était plus intéressant de passer le clavier aux élèves, pour qu’ils reprennent le cours. Le résultat est projeté et tous voient le document en train de se construire. Ça crée des interactions dans la classe car les élèves se corrigent entre eux. Le clavier tourne – et si je vois un élève qui n’écoute pas, ça lui tombe dessus ! Les élèves aiment bien, ça leur donne le souci de la bonne formulation, et ça me libère complètement du fardeau de l’écriture. Certains élèves vifs et habiles avec le clavier prennent à la volée tout ce que je dis, même les jeux de mots débiles ! D’autres vont plutôt se concentrer sur un bout d’argument, par exemple.

Il y a aussi la caméra de documents. C’est une webcam de bonne qualité montée sur un bras très flexible, qui filme ce qu’il y a sur le bureau. Ça peut se bricoler. Elle permet de projeter directement une copie d’élève au tableau pour la corriger, si l’élève est d’accord (il est très rare qu’ils refusent, ils en sont plutôt demandeurs). Après avoir donné un exercice, je peux montrer quelques copies en direct, et corriger sur la feuille ou souligner des passages sur un tableau numérique… C’est un outil très flexible, qui n’a pas besoin de scénario pédagogique spécifique. J’aime ça. Ce n’est pas comme les zapettes [les boîtiers de réponse, nldr], par exemple, qui nécessitent d’articuler la séquence pédagogique autour d’elles. C’est mieux quand l’outil s’adapte à votre cours, et pas l’inverse.

Propos recueillis par Quentin Duverger

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